vie_revee_galvin.jpg Michel Galvin, La vie rêvée, éditions du Rouergue, 2014, 16 €

La vie rêvée, album Pépite du Salon du livre et de la presse de jeunesse qui s'ouvre demain à Montreuil a de quoi déstabiliser tout parent qui attend de ce prix la célébration d'un livre sur lequel caler une lecture paresseuse...

On pourrait dire de Michel Galvin qu'il est le Jean-Luc Godard de l'album pour la jeunesse. Comme le cinéaste, il montre cette capacité à déjouer toute confortable représentation de ce que peut être son médium de prédilection en l'amenant vers des narrations inhabituelles et une interrogation même du support. Ici, des codes de la représentation (images combinant deux styles distincts sur chaque double page) au rapport texte-image (disjonction entre les narrations verbales et visuelles), ce sont les fondements même de l'album qui sont interrogés.

vie_re_ve_e_double.jpg Michel Galvin © Rouergue 2014

On pourrait, aussi, dire de Michel Galvin qu'il est le Patrick Modiano de l'album pour la jeunesse. Comme l'écrivain qui – en plus d'obtenir le Prix Nobel de littérature – s'était vu couronné par le prix Goncourt "pour l'ensemble de son œuvre", Michel Galvin offre, titre après titre, un ensemble aussi singulier que cohérent, revenant incessamment sur les mêmes motifs, obsessions visuelles (ombres, cailloux, espaces blancs déserts, formes molles...) ou thèmes récurrents (la rencontre, l'incompréhension, l'illusion...). Sans doute, est-ce en ayant déjà lu L'Etroit cavalier (2006), Jean-Luc et le caillou bleu (2008) ou encore C'est un monde ! (2009) que l'on goûte tout le suc de cet album, que l'on apprécie à sa juste valeur une œuvre à la portée philosophique.

la_vie_revee_double_2.jpg Michel Galvin © Rouergue 2014

Car, finalement, il faudrait surtout dire de Michel Galvin qu'il est l'Aristote de l'album jeunesse pour en avoir inventé la métaphysique. Ce qui est troublant pour le lecteur, c'est qu'il pose tant de questions, là où d'autres se contentent de réponses. Questions sur le livre, sur la narration, mais, surtout et avant tout, questions sur la création. Un cheval blanc, un trou noir, une inextricable pelote, tels de grands monolithes noirs, tous incarnent le mystère de la vie, l'attraction d'une énigme insoluble et, sans doute les tout premiers questionnements existentiels de l'enfant. C'est bien le paradoxe de cette œuvre qui semble si intellectuelle ; elle est en fait profondément enfantine, en ce qu'elle tend à retrouver ce vertige d'une jeune et première conscience de sa propre existence.

La profondeur du propos n'exclue pas l'humour, et c'est toute la réussite du créateur que de le lier légèreté et absurde dans ce récit d'un ours remontant vers la source des origines. La fin du livre, y compris sa quatrième de couverture, à l'évidence, est un malicieux clin d'œil à un autre ours, celui d'Olivier Douzou dans son album intitulé Fourmi. Comme quoi, fourmi ou poisson, un ours est un ours. On pense en plusieurs endroits à d'autres albums, d'autres références. Par exemple au "un chat est un chat" d'Agnès Desarthe et Claude Ponti (Petit Prince Pouf) ou encore aux candides bipèdes de Tous canards de Bruno Gibert, autant d'albums qui ont aussi savamment combiné humour et philosophie. Peu importe que ces références soient ou non délibérées, surgissant à l'esprit du lecteur, elles démontrent que La Vie rêvée est loin d'être une œuvre close ou absconse, et qu'elle offre au lecteur une étourdissante et inépuisable source d'exploration de l'art et de la vie.

Alors, merci aux Pépites qui –avec un objectif finalement assez proche du Prix de la BD à Angoulême– bien que très médiatisées, refusent la facilité, échappent aux attentes convenues en matière de livres pour enfants et valorisent une œuvre de création aussi singulière que puissante.

Les parents connaisseurs les en remercient. Et tous les enfants qui préfèrent les questions aux réponses – ils sont nombreux –, aussi.