Delphine Bournay, Grignotin et Mentalo, animaux sauvages, L'Ecole des loisirs, Mouche,
2012, 9,70 €, EAN 9782211208666
Impossible, d’abord, de ne pas rappeler l’évidente filiation de Grignotin et Mentalo avec Ranelot et Bufolet d’Arnold Lobel : une amitié baignée de fantaisie et de nonsense, des histoires courtes, séquencées, une confrontation avec l’environnement naturel et l’occasion d’une mise en scène aussi inventive qu’universelle des sentiments et émotions liés à des personnages adultes/enfants/animaux faisant (micro)société. Impossible également de ne pas rappeler toutes les autres séries qui s’inscrivent dans cette même lignée, de Nour, le moment venu (et titres précédents) de Mélanie Rutten aux 2 volumes de "Dans la forêt" d'Aurore Callias et Ramona Badescu. Impossible, encore, de ne pas saluer le rôle majeur qu’à pu jouer Kitty Crowther, avec Poka et Mine (2005) dans la renaissance de ce qu’il faudrait presque identifier comme un genre (Mais comment l’appeler, tiens ? Voulez-vous contribuer en commentaires ?) dont les origines suédoises, la culture livresque anglo-saxonne, le sens exceptionnel de l’enfance et l’immense talent ont apporté tant de tendresse, d’inventivité et de bienveillance dans l’univers francophone du livre pour enfants.
Ensemble, ces créatrices posent les contours d’un renouveau du récit pour la jeunesse. Dans cette forte convergence, chacune apporte son originalité et ne peut en aucun cas être réduite à ce dénominateur commun, tant les unes et les autres élaborent finement des univers profondément singuliers, denses et attachants.
© Delphine Bournay, L'École des loisirs, 2012
Delphine Bournay se distingue ainsi dans le paysage éditorial contemporain par sa grande virtuosité de dessin, particulièrement dans les attitudes et postures de ses personnages, représentés à une échelle proche du minuscule, qui oblige ainsi à littéralement entrer dans ses pages pour observer avec la curiosité de l’entomologiste ces petites créatures gracieuses, souples et rebondies.
Dans ses ouvrages à la croisée de l’album, du roman de première lecture et de la bande dessinée, Delphine Bournay déploie une grande intelligence de la narration texte / image. Sa suite d’image réussit le tour de force de se situer à mi-chemin entre les images associées et les images en séquence. De fait, son dispositif textuel hésitera d'abord entre récitatifs et bulles, pour finalement adopter un système très original (largement commenté chez le talentueux Brecht Evens) de dialogues directement inscrit sur la page, prenant la couleur du personnage émetteur. Sans la mise en place de bulles entremêlées ou de fastidieux embrayeurs, les paroles, savoureuses, échangées par ses personnages semblent magiquement animées et, surtout, permettent un ensemble graphique, dans lequel les décors, finement ouvragés, viennent achever l’harmonie.
© Delphine Bournay, L'École des loisirs, 2012
Ce dernier opus montre une intéressante progression des sujets et préoccupations de ses personnages déjà largement animés par les réflexions existentielles dans les précédents titres. Ici, il sera question, pas moins, du rapport à la représentation (La Carte), du classement du règne animal et végétal (L’Inventaire) ou de la sauvagerie, précisée sous l’angle « manger son prochain » (Les animaux sauvages). Des sujets ardus et chausse-trappe, sauf pour la talentueuse Delphine Bournay qui semble n’avoir pas de limite à sa capacité de raconter par le texte et l’image dans une forme aussi référencée qu’originale.