couv_notre_boucle_dor.png Adrien Albert, Notre Boucle d'Or, L'École des loisirs, novembre 2020, 12,50 €

Bien moins présent dans l’édition française que Le Petit chaperon rouge, et plutôt attaché à la sphère anglo-saxonne de la littérature jeunesse, le conte Boucle d’or et les trois ours fait de temps à autre des apparitions remarquées dans l’album jeunesse contemporain, telle celle d’Olivier Douzou en 2011, alors que les versions de Gerda Muller (1956) ou de Rojankovsky (1967) trônent encore dans bien des mémoires.

C’est donc au tour d’Adrien Albert d’en proposer sa version, lui qui avait peu habitué ses lecteurs fidèles et attentifs à des histoires « qu’on connaît déjà », selon les mots de la petite fille à l’origine de cette idée, rapportés par l’auteur dans la belle émission de Marie Richeux, sur France Culture. Mais ce n’est pas tout à fait l’histoire qu’on connaît déjà, en l’occurrence. À commencer par son titre, le discret adjectif possessif, « Notre », précédant ce Boucle d’Or sans mention d’ours. Et cela change déjà tout, dans cette réinterprétation sans grand chambardement apparent, mais qui opère en profondeur avec le déplacement de ce conte de « passage » vers un conte de l’attachement familial, ou bien un conte étiologique qui aurait pour fonction de raconter l’histoire de son titre.

Capture_d_ecran_2020-12-17_a_16.41.10.jpg © L'École des loisirs 2020

Adrien Albert est l’un de ces rares auteurs-illustrateurs dont on a envie d’affirmer que leurs livres sont parfaits. En ce sens que leur contenu est en adéquation totale avec la forme, laquelle est maîtrisée, aboutie dans ses moindres composantes ; narration, dialogues, dessin, couleurs, mise en page, rythme, tout donne la solide assurance d’être à sa place. Cela suppose une épure de l’album. La surprise, renouvelée de titre en titre s’agissant d’Adrien Albert, c’est que cette épure et cette maîtrise n’empêchent pas, ne limitent pas, l’émotion et ou la prolifération du sens.

Capture_d_ecran_2020-12-17_a_16.40.40.jpg © L'École des loisirs 2020

L’émotion d’abord. Elle est figurée par les attitudes des personnages, avec une grande expressivité alors même que le dessin est précis, et le trait, net et appuyé. De manière plus diffuse, l’ambiance suggérée par les couleurs, les lumières, par le sens de l’espace agissent de manière souterraine, disons profonde, sur le lecteur, telle cette maison d’abord vue comme minuscule, aux allures de jouet, puis explorée dans une succession de vastes espaces reliés, presque mis en abîme, ou encore cette intrigante forêt aux teintes de Nabis. Le lecteur n’est pas inquiet, mais pas tout à fait tranquille non plus – c’est un conte après tout.

La prolifération du sens, ensuite. À l’heure où l’on rencontre encore et toujours tant de livres qui tentent d’imposer des idées, principes ou messages aux enfants, Adrien Albert aborde en toute décontraction, et en toute discrétion, suggère donc, les thématiques poids lourds de l’égalité des sexes (la taille des parents ours, la masculinisation d’une héroïne canonique), de la représentation animale (relations entre les différents règnes, entre le sauvage et le familier…) ou encore celle du rapport à la transgression (le désordre, la gourmandise et la bêtise).

Capture_d_ecran_2020-12-17_a_16.40.53.jpg © L'École des loisirs 2020

La théâtralisation de la narration avec adresses au lecteur, verbales ou iconiques, scènes secondaires au temps décalé (la chute de petit ours), référence aux versions antérieures (le rez de chaussée de Gerda Muller transformé en un étage à suspense) achèvent de donner une place de choix à cet album dans la lignée fructueuse des variations françaises autour du motif de Boucle d’Or, tout en l’imposant comme une apogée, chaque fois renouvelée depuis le premier titre, dans la bibliographie d’Adrien Albert.