Capture_d_e_cran_2020-09-16_a__15.33.38.jpg Michał Skibiński, Ala Bankroft, J'ai vu un magnifique oiseau, Albin Michel Jeunesse, septembre 2020, 14,50 €

C’est le récit d’un basculement. Celui de l’innocence, disons plus prudemment de l’insouciance, dans la tragique histoire de l’humanité. Le passage d’une saison estivale radieuse, faite d’eaux vives, d’ombres fraîches, de promenades en forêts, de pièges à chenilles ou à guêpes, de glaces prises au salon, de belles lectures, à l’un des grands hivers de l’Histoire auxquels même les impressionnants orages d’été n’auront su préparer : la seconde guerre mondiale.

IMG_6172.JPG © Albin Michel Jeunesse 2020

Le jeune Michał Skibiński avait 8 ans, cet été de 1939, lorsque son institutrice lui demanda d’écrire chaque jour dans son journal afin d’améliorer son écriture du polonais. Il inscrit la première phrase sur son cahier d’écolier le 15 juillet, et, une à une, jamais plus, il égrène quasi quotidiennement les menus faits d’une enfance ordinaire, tout juste teintée d’appréhension dans l’attente d’une mère sur un quai de gare, ou du soulagement contenu d’une joyeuse promenade avec son père. Mais rien ne prépare vraiment à cette mention du 1er septembre 1939 « La guerre a débuté ». L’après ne sera pas tellement plus loquace. Mais il est parfois terriblement explicite « Ils ont largué une bombe près de chez nous », et le lendemain « Les Allemands ont envahi Milanowek ». Le jour de la mort de son père, chef d’escadron, il consigne : « Les avions n’arrêtent pas de voler ».

IMG_6173.JPG © Albin Michel Jeunesse 2020

D’un tel matériau, il fallait toute la sensibilité et la force d’un éditeur hors-norme pour en faire un album pour la jeunesse. Il n’étonnera pas ceux qui en connaissent le catalogue que ce fut Wydawnictwo Dwie Siostry la maison d’édition varsovienne des Deux Sœurs, qui en réalisa la publication l’an passé. Laquelle paraît aujourd’hui en France grâce à la traduction d'Albin Michel Jeunesse. Car la puissance émotionnelle de cet album réside aussi dans un autre matériau créé de toutes pièces par l’éditeur : les vastes illustrations picturales d’Ala Bankroft, qui s’étendent à fond perdu sur chaque page, illustrant chaque phrase, et plus précisément notre lecture de chaque phrase, l’entourant, l’accueillant, lui offrant l’espace dense et vivant d’un écrin gorgé de couleurs et de lumières. Et rien d’autre, ou presque.

Capture_d_e_cran_2020-09-16_a__14.54.05.jpg Michał Skibiński aujourd'hui

En fin d’ouvrage, quelques explications et le fac-similé de pages du journal de Michał, qui non seulement survécut à la guerre mais est toujours en vie, achèvent avec délicatesse de nous faire pénétrer l'universalité de cette histoire pourtant singulière.