Capture_d_e_cran_2020-03-05_a__13.34.50.jpg L’anniversaire, Pierre Mornet, L’Étagère du bas, février 2020, 16,50 €

La vie des livres n’échappe pas aux lois générales. Alors que le catalogue d’Autrement jeunesse, si déterminant dans l’évolution de l’album, disparaissait en 2014, une nouvelle maison voyait le jour peu après, L’Étagère du bas, qui poursuit depuis, opiniâtre, sa voie neuve et singulière dans le champ constamment renouvelé de l’édition pour la jeunesse. La maison conduite par Delphine Monteil réédite aujourd’hui l’un des albums du catalogue enseveli d’Autrement, L’Anniversaire, de Pierre Mornet, en ayant le soin, et l’élégance, de citer non seulement l’édition antérieure (2013) mais aussi les premiers acteurs éditoriaux de cette publication. La nouvelle couverture est une création, la fabrication de ce format généreux s’avère irréprochable.

Capture_d_e_cran_2020-03-05_a__13.34.59.jpg L'étagère du bas, 2020

Pierre Mornet est un illustrateur comme il n’en existe plus tant que cela. Entièrement acquis à son art, travaillant pour la presse, pour l’édition et menant aussi un travail personnel, le tout d’une remarquable cohérence esthétique, signature unique et identifiée qui, si elle évoque Edward Hopper ou Balthus, se signale avant tout pour elle-même, par ses portraits féminins, hiératiques silhouettes aux mises raffinées, chevelures-formes et regard pénétrant. Un trouble émane de ses images tableaux, la grâce et l’harmonie inventive des teintes, la composition sans faille des scènes étant délicatement bousculées par le jeu des proportions entre personnages et décors, végétaux et animaux, ainsi que par le traitement plastique, parfois minutieux, invisible et précis et parfois plus rugueux, apparent. Un univers flottant, en deçà de l’inquiétant, mais bien au-delà du ravissant.

Capture_d_e_cran_2020-03-05_a__13.35.13.jpg L'étagère du bas, 2020

Nous donnant à reconsidérer l’équilibre du livre illustré et la capacité narrative des images isolées, Pierre Mornet se dote ici de son propre récit, bref, onirique, offrant un double intrigant, une amitié élective entre des petites filles tout carolliennes accompagnées de rossignols tout anderseniens, sous l’œil puissant mais bienveillant de femmes reines et princesses au charme envoûtant. Poétique et concis, ce texte renverse la donne dans son rapport aux illustrations, qui deviennent ici premières et conduisent indéniablement la narration, image par image, d’ellipse en ellipse, osant le noir intense quand l’héroïne ferme les yeux, réussissant, surtout, un instant suspendu de toute grâce lorsque la Reine de la nuit, plus déesse que monarque, effleure et déclenche d’une posture sculpturale le tumulte de l’eau.