74187203_141928277206640_1317708301558874112_o.jpg Anne Herbauts, En coup de vent, Casterman, novembre 2019, 13,95 €

C’est un lapin qui sort tout droit d’Alice (placée en exergue), court contre la montre, et traverse le livre en un mouvement. Ce lapin ne fait que cela, courir entre deux heures, entre douze heures, entre deux sommes. Dans cet album de petit format, souple, il est systématiquement positionné au même endroit de la double page, tout à fait à droite. On peut faire défiler les pages entre le pouce et l’index, véritablement en coup de vent, et le livre devient alors un flip-book. Voilà pour le côté pile, le côté droit – recto – du livre, la fameuse belle page.

Capture_d_e_cran_2019-11-18_a__08.38.43.jpg © Casterman 2019

Côté face, ou côté verso, côté gauche, là où est classiquement posé le texte, on ne trouvera que des résidus de lettres, ou de mots, qui composent des images en collages, riches de détails, de matières et d’icônes très publicitaires. Voilà donc un album sans texte. Est-il silencieux ? Pas vraiment, car tout le fracas de la ville nous parvient, des transports, des boutiques, de la rue où notre lapin court.
Capture_d_e_cran_2019-11-18_a__08.38.56.jpg © Casterman 2019

Comme à son habitude, Anne Herbauts prend le contre-pied de nos attentes tout en restant dans son absolue cohérence. Elle trouve une nouvelle forme au livre, et cette fois, ce fameux V qu’elle évoque souvent comme l’espace fécond de la lecture se déployant entre les deux pages du livre est à géométrie variable, très resserré quand il s’agit de suivre notre lapin, mais grand ouvert, presque à plat, quand les détails appellent une observation tranquille. Et de ce V en soufflet sortent de multiples observations ou réflexions, inscrites dans les longues secondes de son réveil ou dans les fulgurantes heures durant lesquelles notre lapin s’habille de trois boutons mais passe son temps à consommer allègrement.

Orbe_Anne-Herbauts-couv.jpg Anne Herbauts, la tête dans la haie'', dialogue avec Frédérique Dolphijn, éditions Esperluètes, collection Orbe, 9,50 €

Surtout, ne pas y voir de message car « Ça c’est terrible ! Moi je dis : mangeons du caillou et arrêtons le vernis, le message du livre, le bien-penser, ce qu’il faut inculquer à travers la moralité du livre. » Voilà l’un des nombreux passages délectables du livre d’entretiens qui paraît dans le même temps chez Esperluète, Anne Herbauts, la tête dans la haie. Manger du caillou, mettre la tête dans la haie, honorer le pli, il y a dans ce petit livre, d’apparence presque précieuse, une quantité phénoménale de réflexions qui éclairent le travail d’Anne Herbauts, celui de l’album, de la littérature, pour la jeunesse et générale, de la poésie, il y a comme une philosophie de vie d’une créatrice libre qui a tracé dans ce qui nous a paru un coup de vent, plus de vingt ans de création.