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Claude Ponti, La Course en livre, L'École des loisirs, novembre 2017, 15 €

Trente et un ans, que Claude Ponti s’attache à publier, chaque automne, un nouvel album. Lors de ce rendez-vous annuel, il y eut bien des surprises parmi lesquelles un format vertical et sa narration en chapitres (Ma Vallée, 1998), un album géant du poussin masqué (Blaise et le château d’Anne Hiversère, 2005), un album liste (Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer, 2008), un nouveau livre comme suite d’un ancien (Le Mystère des Nigmes, 2016), etc, etc.

Celui de cette année réserve sans doute la plus grande des surprises avec un album de 216 (enfin, 2 x 108) pages dont l’abandon de tout récit est certainement l’élément le plus frappant de la part de celui qui déclarait en 2000 « Un album, c’est un moment où ni le texte, ni les dessins, ni la taille, ni le format, ni les caractères n’ont plus d’importance les uns que les autres, tout étant au service de l’histoire ». Enlevez l’histoire et « tout » contribue pourtant à façonner l’un des albums les plus pontiens qui soient, avec ses réflexions sur le vrai et le faux, ses courses de poussins, ses rigolades, ses impertinences, sa fourmi à grosse voix, ses panneaux de signalisation, ses arbres, ses os, ses monstres méchants et gentils.

Capture_d_e_cran_2017-11-03_a__18.40.40.jpg © L'École des loisirs, 2017

Ce livre dont le format même est un hommage au fameux parallélépipède rectangle fonctionne pourtant à rebours de toute habitude. On y entre littéralement par le début ou par la fin car « c’est pareil », et la lecture se réalise en effet dans les deux sens, avec une numérotation de 1 à 108 de chaque côté. En résulte des jeux de symétrie vertigineux, mais pas que. Surtout, le livre se termine par son milieu, page 54 (!), avec une porte, et un panneau « sortie », en toute logique. Que le dos du livre reproduise cette porte est l’une des réjouissances qui occuperont longtemps le lecteur attentif aux jeux métafictifs. D’autres réjouissances, nombreuses, l’attendent et rendent cette lecture inépuisable : effets d’annonces, d’illusion, torsion de la pagination, de la temporalité et – peut-être, plus inventifs que jamais – des jeux de langage sur des registres toujours renouvelés, en témoigne ces savoureux passages sur les signes de ponctuation ancêtres des émoticônes.

Capture_d_e_cran_2017-11-03_a__18.41.25.jpg © L'École des loisirs, 2017

Le lecteur navigue constamment dans un « maintenant », celui de la double page ouverte, et qui se définit comme un instant en perpétuel mouvement, entre un sens et l’autre, entre un avant et un après. Au fil de ces pages généreuses, pleines de vie, de farces et d’aventures, perce alors un sentiment fort, celui qu’au livre sur le livre se superpose avec intensité un livre sur la vie, célébrée avec cette joie, cette exubérance, cette ode à la tendresse qui marque tout vrai livre de Claude Ponti.