9782211230476.jpg Aharon Appelfeld, De longues nuits d'été, L'Ecole des Loisirs, traduction de Valérie Zenatti, avril 2017, 15 €.

Qui a vu le reportage consacré à Aharon Appelfeld, Le kaddish des orphelins (Arnaud Sauli, 2016) ne peut plus lire un roman de l'auteur israélien sans la réminiscence de ce singulier fredonnement qui accompagne son écriture. Valérie Zenatti fredonne-t-elle de la même manière son texte français lorsqu’elle assure la traduction ? Sans doute pas. Pourtant, phrase après phrase, le lecteur goûte comme rarement la musique d’une langue simple, limpide, sans artifice, et ô combien gracieuse.

Variation renouvelée de la propre enfance de l’écrivain aujourd’hui âgé de 85 ans qui s’échappant du camp où il avait été déporté avec son père juif, survécut à la seconde guerre mondiale par une errance éprouvante dans la nature, ce récit met en scène le jeune Janek confié par son père, à la veille de sa déportation, à l’un de ses anciens employés catholiques, remarquable soldat qui, devenu aveugle, sillonne les routes en vagabond. Sage d’entre les sages, juste d’entre les Justes, le vieux Sergueï est cette figure sublime auprès duquel le jeune garçon fera, corps et âme, un apprentissage propre à le soutenir sa vie durant.

De longues nuits d’été est le deuxième ouvrage adressé à la jeunesse par Aharon Appelfeld. D’une écriture de l’enfance, l’écrivain passe ainsi à une écriture pour l’enfance. Le récit ne ressemble pour autant à rien de connu dans ce segment éditorial du roman jeunesse, et c’est même un défi à ses genres et à ses codes ordinaires, à son rythme, également.

appelfeld_rutten.jpg Mélanie Rutten © L'Ecole des loisirs, 2017

Car le récit avance lentement, à moins que ce ne soit le lecteur qui entende savourer chaque instant de ce texte à la lumière diffuse, aux espaces-temps flottants, auquel la belle couverture de Mélanie Rutten semble vouloir rendre hommage. Les gestes du quotidien, faire un feu, boire un thé, chercher à manger, s’abriter pour la nuit, se remettre en route, plongent le lecteur au coeur de la vie vagabonde, lui font éprouver de l’intérieur la singularité de cette vie d’errance, tout autant que sa dimension dramatique, laquelle est comme tenue à distance, en un écho troublant à l’usage du flou développé par le cinéaste Laszlo Nemes pour son film Le fils de Saul (2015).

Infiniment précautionneux de la sensibilité du lecteur, l’écrivain ne lui épargne pourtant pas la dureté de la guerre, de la traque, de l’animosité ou de la violence d’un peuple envers certains des siens, ni rien du sort qui attend la famille juive du personnage principal. Et c’est chose étrange de mesurer à quel point le contexte historique est là, et à quel point ce récit transcende son époque, pour faire écho à la marche de l’exil, à la fuite, à l’errance de tous les temps, et peut-être plus encore du nôtre.

On referme ce livre rare et précieux bouleversé d’avoir pénétré tant de grâce et d’intelligence. On pourrait dire sa lecture urgente et nécessaire. Elle paraît surtout absolument essentielle.