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Fleur Oury, Premier matin, Les Fourmis rouges, août 2015, 14 €

Un album pour les tout-petits avec des ours pour héros et la peur de l'école pour sujet, publié à quelques jours de la rentrée scolaire, pourrait laisser craindre, si ce n'est le pire, du moins un livre de plus pour ventes faciles. Il n'en est rien.

Et on le sait dès la couverture. Dans une esthétique à mi chemin (lequel est long !) entre Simon Roussin et Les Petits livres d'or, donc à la fois moderne et tendre, la densité des bruns travaillés par la superposition légère des traits, la dépose gracile des points de couleurs, la belle attitude rayonnante et rassurante de la figure de l'ours et, surtout, ce très beau titre, qui tire le conjoncturel vers l’existentiel, affichent comme une promesse, qui sera ô combien comblée.

S'ouvrant sur l'image, très graphique, d'un cocon de fougères, dont la diversité des teintes témoigne très finement d'un entre-deux (été-automne, vacances-rentrée), le livre cueille son lecteur et l'entraîne dans une balade qui – stable, assurée – s'oriente vers la droite du livre, et donc vers un but – l'école – déroulant ses images avec souplesse, comme un travelling dont le texte se contente d'être une bande son, celle du dialogue de l'ourson et de son parent sur l'intérêt, ou l'importance, d'apprendre et de se lier aux autres.

PremierMatinDP2.jpg © Les fourmis rouges, 2015

Primo auteur-illustratrice, Fleur Oury fait preuve d'une étonnante maturité dans la construction de son album. Empruntant, consciemment ou non, le système magnifié par Gabrielle Vincent – une suite d'images enchaînées accompagnée d'un texte elliptique, uniquement constitué des dialogues des personnages – elle use avec virtuosité d'un art de l'ellipse qui révèle une compréhension complète du fonctionnement profond de l'album.

Et ce dispositif est au service d'un propos lumineux, profondément humain voudrait-on dire. Car, dans les blancs du texte, dans ses interstices, au cœur de ces images qui, n'étant pas redoublées par la redondance d'un texte, se donnent littéralement à lire, se construit une très belle ode à la nature et à la contemplation.Tout autant discours sur l'éducation, sur l'importance de grandir et de se lier aux autres, que sur les petits bonheurs simples et sur la jouissance de la nature, le livre de Fleur Oury ne clive en rien ces idées et assure au contraire la fusion harmonieuse des notions d'effort et de plaisir. Un propos auquel la dernière de couverture fait écho en laissant imaginer le retour à la nature en une sorte d'école buissonnière à l'issue de cette première journée d'école.

Preuve, s'il en est, que l'on peut intelligemment conjuguer réponse à la demande et proposition artistique singulière, Premier matin apporte ainsi à ses jeunes lecteurs, et à leurs parents, un magnifique modèle de bienveillance et de sérénité.

--- Voir également les chroniques de Tourner une page, et L'étagère du bas.