Couverture-LITTLE-MAN.jpeg Antoine Guilloppé, Little Man, Gautier-Languereau, 2014, 19,90 €

Spectaculaires, les albums à découpes d'Antoine Guilloppé le sont chaque fois un peu plus. Même la métaphore de la dentelle semble désormais obsolète tant le dessin formé par les vides et les pleins des pages percées à la pointe du laser approche une finesse qui défie la précision de l'œil, comme cette page remarquable qui figure une vue de Manhattan, aussi bien contexte que sujet de ce nouveau titre. Cette progression conjointe de la création et de la technique a quelque chose de très réjouissant et renvoie à l'enthousiasme des créateurs de livres à système de la fin du XIXème siècle. On sent qu'on tient en main un ouvrage, dans tous les sens du terme, qui a fait l'objet d'une belle passion et qui franchira les générations pour continuer d'émerveiller.

Et pourtant, Antoine Guilloppé ne s'en tient pas à cela. De livre en livre il affine un système qui s'avère d'une très grande complexité puisqu'il gère conjointement dans l'espace d'une double page non seulement le jeu de la découpe recto / verso, et son apposition sur le fond de la page précédent / suivante, mais plus encore le jeu positif/ négatif induit par son usage du noir et blanc. Le créateur tient donc en un seul mouvement une multitude de fonctionnements dialectiques agissant à la fois en 2 et 3 dimensions.

Mais à ces deux premières orientations, celui qui a séjourné à New-York pour la réalisation de cet album, ajoute encore une orientation profondément humaine, voire humaniste. Mettant en scène un jeune garçon noir confronté à l'immensité de la mégapole, n'oubliant pas de redonner des pans de l'histoire, passée, familiale, de son héros, en usant aussi bien de la poésie d'une langue concise que des rapports féconds du texte et de l'image, Antoine Guilloppé insuffle à son récit une sensibilité et une chaleur auxquelles s'ajoute en écho, qui plus est, l'actualité récente des dérives racistes du système policier américain.

Il résulte de cette maîtrise combinée des aspects techniques, stylistiques, narratifs et sensibles une lecture d'une rare puissance émotionnelle. On frissonne, devant tant de beauté incarnée. Magistral.