canard_douzou_couv.jpgOlivier Douzou, Le 1er c'est canard, Rouergue, février 2013, 13,40 €

 

Dans la production contemporaine d'albums, il est une tendance particulièrement intéressante que j'ai intitulée "l'album illusionniste". Il s'agit de titres donnant le sentiment "que le livre s'anime de manière autonome et que le lecteur assiste à cette animation, plus qu'il ne lit véritablement le livre" (Cf. Album[s], pp. 74-75). Hervé Tullet, Emily Gravett ou encore Suzy Lee sont quelques-uns de ses plus dignes représentants.

Au Rouergue, il y a exactement deux ans, était paru Le Mille-patte, de Jean Gourounas. Un sommet du genre. Ou plutôt du sous-genre "Attrape-moi si tu peux". Le 1er c'est canard, d'Olivier Douzou, qui paraît aujourd'hui, s'inscrit absolument dans cette dynamique. Et convoque par ailleurs d'emblée la figure d'un aïeul plus éloigné, Alboum (éditions Être 1998, rééd. Thierry Magnier) qui commençait ainsi : "Il y a un canard. C'est Bernard". Mais, ici, le jeu procède non plus par accumulation verticale, mais par succession horizontale. C'est qu'Olivier Douzou maîtrise comme personne les possibles du livre. Non seulement il s'appuie sur la vectorisation du livre, dans le sens de la lecture, de la gauche vers la droite, mais aussi sur la tension vers la fin du livre (laquelle est matérialisée par l'épaisseur déclinante de feuilles que l'on tient entre le pouce et l'index de la main droite) et sa matérialité même qui laisse imaginer une boucle infinie, à l'image des livres des designers italiens Enzo et Iela Mari.

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© Olivier Douzou, Rouergue 2013

 

Donc, c'est une course-poursuite. Ou plutôt une course à l'échalote, rendue à toute son absurdité puisqu'il ne peut pas y avoir de premier. Mais tous y croient, se succèdent, se précèdent et se grattent. La succession d'animaux et figures connues des tous petits est une jubilation mais qui concernera aussi les plus grands – notamment depuis "La ferme" (1998), Olivier Douzou a montré son habileté à construire des albums pour les tout-petits qui amusent aussi bien les adultes dans une lecture au second degré –  puisque chaque nouvelle péripétie offre une lecture à double (voire à triple) sens. Ainsi, que le chat soit après la souris est une évidence pour tous, mais que cette dernière court "comme une dératée" ne sera vraisemblablement entendu que par certains. Là où cela devient intéressant, c'est que le double sens n'est pas forcément l'apanage des adultes. Ainsi, que le renard ait triché en coupant le fromage amusera-t-il prioritairement les habitués des cours de récréation. Quant à l'absurde de ce pingouin qui s'est trompé de sens, assurément, il réunira tout le monde !

Entre rythme, humour, références partagées et redécouverte de l'objet livre – lequel est abouti dans ses moindres détails, jusqu'à ce logo qui, chevauchant la couverture, assure la continuité avec la première garde –, ce qui pourrait paraître de prime abord comme une bonne blague est, au finale, un livre essentiel.

Le jeune Josef de la Soupe de l'espace ne s'y est pas trompé, lui qui décrypte – ou pas ! – tranquillement les références et affirme enfin avec un naturel désarmant que ce livre est conseillé de "4 ans à 99 ans".

Un livre, une réponse, une parole qui s'avèrent sûrement parmi les meilleures qui puissent être faites au Coco Pépé !