Mario Ramos, Mon ballon, Pastel, 2012, 12 €
Pour celui qui a maintes fois mis en scène des loups, des rois ou des cochons, et fait explicitement référence aux contes, y compris à celui-ci, offrir un nouveau Petit Chaperon Rouge a tout d’une évidence.
Dès lors, le lecteur connaisseur de Mario Ramos se trouve bien alléché par cette annonce et pénètre dans le livre avec curiosité. Tout en restant, prudent, aux aguets, car il sait l’auteur de Au lit petit monstre virtuose dans l’art du retournement. Et retourner le conte du Petit Chaperon rouge, tant d’autres l’ont fait avant lui, et en tout sens…
Le dispositif est malin, d’emblée, trois schémas se superposent. Celui, construit de page en page, des rencontres successives faites par le Petit Chaperon rouge. Celui qui laisse soigneusement l'héroïne hors-champ faisant seulement apparaître le ballon qu’elle tient au bout d’un fil dans le cadre. Et celui de la chanson « Promenons-nous dans les bois » (déjà vue chez Ramos dans Loup, loup y es-tu) dont un vers est ajouté à chaque page, à la manière d‘un conte en randonnée. Un dispositif scénique générant un suspense dans les plus pures règles de l’art hitchcockien, épousant la leçon du maître selon laquelle le spectateur doit en savoir plus que le personnage.
© Marion Ramos, Pastel, 2012
En effet, à point nommé, alors que toutes les rencontres improbables ont été épuisées, que la chanson touche irrévocablement à sa fin, et que la confrontation avec le loup semble désormais inévitable, une extraordinaire double page laisse notre chaperon rouge toujours hors-champ, et montre le ballon lâché. La réaction d’un oiseau qui s’envole dans un mouvement de panique laisse tout supposer d’un drame qui se joue hors-champ, au pied des arbres. Le lecteur lui, est partagé entre l’effroi que suscite cette image – d’autant qu’elle peut lui rappeler celle du singe dans la scène cruciale de L’Ogresse en pleurs de Wolf Erlbruch – et la certitude que l’auteur ne s’arrêtera pas là. Mais c’est un crocodile ! Lequel remet le ballon échappé entre les mains du PCR. Alors que le suspense se trouve désamorcé, il est dans le même temps relancé car, ne s’agit-il pas, cette fois, d‘un carnassier ?
© Marion Ramos, Pastel, 2012 - © Wolf Erlbruch, Milan, 2004
Et le loup arrive en effet, en toute simplicité : « Loup y es-tu? » « Oui. Bien sûr que je suis là ». Et alors ? « à ces mots », au plus près du texte de Perrault et donc d’une forme conventionnelle du conte, le loup « se jette » sur la petite… Quand une détonation « PAN » s’inscrit au cœur d’une nouvelle double page, rouge sang.
Est-ce le chasseur ? Non ! Mais, alors ? Alors, cher lecteur, vous avez lu le titre ? Et bien vu qui ou quoi était au centre de chaque image… ? Élémentaire, n’est-ce pas ?
L'humour permet de dire des choses très fortes. Je suis fasciné par les blagues : des histoires simples, souvent basées sur la répétition, avec une chute qui apporte un autre point de vue. D'où les éclats de rire.
Mario Ramos. Propos recueillis par Lucie Cauwe, dans "Le Monde de Mario Ramos", L'Ecole des loisirs, 2011
Commentaires
Ce ballon rouge porté puis lâché par une petite fille poursuivie fait aussi beaucoup penser à la scène d'M le Maudit. C'est intéressant de voir ce traitement dans un livre pour enfant!
manonAvez vous découvert le petit chaperon rouge qui vient de sortir chez actes Sud illustré par Lydia Arickx ? C'est la vraie version de Perrault. Celle qui finie mal...Les illustrations font peur juste comme il faut et sont surtout splendides ! J'adore !
Un autre endroit...@ Manon : oui, en effet, cette double page joue décidément à plein les références, l'effet du hors-champ sans aucun doute. Il y avait aussi le terrible "On-dit" de Yann Fastier qui, dans sa dernière page, évoquait M. Le Maudit.
@ Un autre endroit : ah non, pas vu ! Je vais voir cela... Merci !
SVdLBonjour Sophie,
J'apprécie vraiment de vous lire car j'ai toujours le sentiment de lire une deuxième fois les livres !
Les parallèles que vous faîtes sont vraiment instructifs et à-propos. Votre mémoire visuelle est très impressionnante... Vous mentionnez 'L’Ogresse en pleurs' de Wolf Erlbruch (j'adore d'ailleurs cet artiste trop peu visible dans les librairies à mon goût...) paru en 2004 aux Editions Milan que j'ai pu heureusement découvrir très récemment (... à La FNA?... comme quoi...) et je trouve très approprié le lien que vous faîtes.
J'apprécie beaucoup chez Mario Ramos sa capacité à détourner les contes et les comptines (A 'Loup y es-tu?' on peut également mentionner 'Le roi, sa femme et le petit prince') et d'y apporter une chute très rigolote (par expérience cela marche à tous les coups avec mes filles) avec très peu de moyen. L'idée du dé-cadrage est vraiment astucieuse et sert vraiment la tension (l'attention) de l'histoire.
Bien à vous.
David
PS: Je suis d'accord au sujet du livre de Lydia Arickx. L'utilisation des papiers de textures différentes allié à un style très 'rupestre' fait très bien ressortir le texte. Munari n'est pas loin...
David GAL-REGNIEZDans la même veine, et que je trouve très bien illustré - Hänsel et Gretel de Sybille Schenker chez Mineditions.
Merci infiniment cher David de vos bien aimables appréciations. Oui, Wolf Erlbruch, un artiste majeur, dont l'influence a été considérable sur toute une génération, qui perpétue encore aujourd'hui (voir le dernier Chiara Career à L'Atelier du Poisson soluble) ses enseignements graphiques. Mais il est vrai que cela fait un moment que nous n'avons pas été honorés d'une nouvelle publication de sa part. Il va falloir enquêter ! Bien à vous, SVdL
SVdL