couvdonald.jpg Les Histoires de Donald, Peter F. Neumeyer, Edward Gorey, éditions Attila, 12 €

Il est vrai qu’il s’agit d’abord d’un objet livre fort plaisant, avec un papier épais et une impression du noir irréprochable. Dans la période, on ressent plus que jamais cette nécessité de rappeler l’importance de la matérialité du livre, laquelle, parce qu’elle n’a rien de formaté ni de pré-établi, soutient ici remarquablement le propos.

Un propos tout aussi raffiné, où l’usage du non-sense s’exécute, volubile, à la croisée des plumes, celle d’Edward Gorey, dessinateur phare du XXe siècle, adulé de tous les illustrateurs, et quelques autres, parmi lesquels Tim Burton ou Neil Gaiman, et dont les éditions Attila ont, pour le plus grand bonheur du public francophone, réédité la très fameuse trilogie de Treehorn, et celle de Peter F. Neumeyer, grand spécialiste allemand de la littérature pour la jeunesse.

C’est dans la répétition que s’épanouit toute la virtuosité de cette collaboration entre textes et images, lesquels se trouvent sagement cantonnés en des espaces réservés (page de gauche sur fond noir pour le texte, page de droite sur fond blanc pour les images). S’installe un rythme propre à l’alternance des pages et à la redondance des messages, sur lequel le moindre bruissement subit une étonnante amplification.

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© P. F. Neumeyer, E. Gorey, éditions Attila 2011 (page de gauche tronquée)

Ainsi, au chapitre « Donald a un problème », à la poursuite d’une même phrase sur deux pages correspondent deux occurrences quasi identiques d’une même scène où le geste de la mère, le léger mouvement de tête de Donald et la disparition du drôle de monstre de compagnie suffisent à exprimer le frémissement, la crispation de l’enfant. Dans le même esprit, les séquences imaginaires, successions de fantasmes ou inserts en gros plan, suffisent à imprimer une rupture significative dans le déroulement tranquille de la narration.

L’art du décalage s’insinue jusque dans les marges, les interstices ou les frontières du livre. Les premières gardes mettent en scène un dragon en motif s’échappant d’un vase chinois pour se retrouver sans autre forme d’explication, page suivante, sur l’épaule d’un vigoureux marin tandis que sur les dernières gardes, un arbre s’écroule après avoir été poussé une trentaine de pages plus tôt.

À mille lieues des blagues lourdement clivées d’un Shrek (le film) Les Histoires de Donald développent harmonieusement un humour subtil qui accueille avec bienveillance tous les publics, chacun en appréciant simplement la densité selon son âge et ses habitudes culturelles.

Personne, et surtout pas le jeune lecteur, n’est donc exclu de ces traits de plumes qui viennent si agréablement chatouiller l’esprit.