La créatrice anglaise Emily Gravett fit une entrée fracassante dans le paysage hexagonal de l’album en 2005 avec la traduction, par les éditions Kaléidoscope, de son livre inclassable : Les Loups. Usage débridé de systèmes papier, jeu avec le support même du livre, l'auteure révélait au public français qu’en usant d’une narration réflexive comme d’un terrain de jeu elle avait le pouvoir d’enthousiasmer au plus haut point les jeunes lecteurs.

 

une_fois_encore.jpg Une fois encore ! Emily Gravett, éditions Kaléidoscope, 2011, 15 €

Une fois encore est le titre de son dernier livre, mais il pourrait aussi bien s’appliquer à la création renouvelée d’Emily Gravett. Car, une fois encore, elle nous entraîne à sa suite dans une aventure aussi peu conventionnelle que distrayante.

Cela commence dès la « Une » de la jaquette : s’y trouve représenté un jeune dragon tenant entre ses pattes la reprise à l’identique du livre que nous tenons nous-mêmes en main. Première mise en abyme du livre. Dès les pages de garde, en une sorte de pré-générique, une petite séquence montre les activités du jeune dragon précédant son coucher. La sortie du bain coïncide avec la page de titre. Et là, bogue ! Une autre page de titre lui succède, à l’identique. Enfin, pas tout à fait. Entre-temps, une bulle de savon présente sur la première a éclaté, témoin du temps qui a passé dans l’intervalle. Surtout, un point d’exclamation ponctue la répétition, tandis que le petit dragon adresse un clin d’œil au lecteur, manière de le convier au jeu et à la transgression.

 

images_gravett.jpg Illustration © Emily Gravett, éditions Kaléidoscope, 2011

Photographie tirée du blog © Les Jardins d'Hélène avec la très aimable autorisation de l'auteure.

 

La suite se laisse conter d’elle-même. C’est d’ailleurs le très grand talent d’Emily Gravett et de ce livre en particulier : donner le sentiment de se raconter tout seul. Plus qu’une auteure-illustratrice, Emily Gravett est une véritable créatrice d’albums qui se sert de son support même pour mettre littéralement en scène sa narration. L’image est prioritaire, le texte intervenant quasiment comme un sous-titre. L’ensemble donne la très rare impression de dérouler la narration sous nos yeux, particulièrement ceux des non encore lecteurs (de texte) auquel le lecteur à voix haute devra se contenter de servir d’amplificateur de la bande son !

Comme le titre et le jeu autour de la page de titre l’annonçaient, toute l’histoire joue de la répétition. Le parent du dragon (et l’on sait gré à Emily Gravett de maintenir l’indécision sur son appartenance au genre féminin ou masculin) est appelé à lire, puis à relire le fameux livre désigné en première de couverture. Au fil des relectures, la fatigue aidant, le parent raccourci son texte et s’endort, tandis que le jeune dragon, dans une intensité inverse, intervient de plus en plus jusqu’à ce que son exquise fureur l’amène à cracher sa flamme sur le livre, pour un effet plus que détonant ! On se gardera d’ailleurs de montrer la dernière de couverture avant la première lecture.

Emily Gravett prend au sérieux les enfants, connaît leurs habitudes de lecture, leur humour et sait avec talent leur réserver les surprises les plus exaltantes, faisant de ses livres l’occasion d’une lecture aussi unique que mémorable. En cela, elle nous est essentielle.