Le rôle dévolu à la position dans laquelle je me place, celle que je désigne comme étant « enfantine »,

diffère des positions « parentales » en ce qu’elle concerne l’ouvert.

C’est la disposition d’esprit qui produit des ouvrages de fiction dont le rôle consiste,

de mon point de vue, à fournir aux enfants des outils et un cadre pour leur permettre d’explorer,

d’expérimenter et d’agrandir le champ de la pensée spéculative, de l’imaginaire et du sentiment.

Et aussi apprendre à en gérer les débordements.

Elzbiéta, L’Enfance de l’art, Editions du Rouergue, 1997, p. 13

 

 

Elzbieta, parce qu’elle a résolument pris parti pour l’enfance peut s’aventurer dans tous ses territoires, y compris les plus obscurs. La réalité n’épargnant pas l’enfance, l'auteure n’élude pas la réalité dans ses livres pour enfants. Celle de la pauvreté, de la guerre, de la mort et ici, avec l’écuyère, de l’abandon, puisqu’elle met en scène dans ce dernier album le parcours d’une enfant rejetée par sa mère, poursuivie par le sort, avant d’être, enfin, rattrapée par l’amour d’une famille d’adoption (celle du cirque) et la promesse d’un avenir radieux annoncé par le titre.

 

lecuyere.jpg Elzbieta, l'écuyère, Éditions du Rouergue, août 2011, EAN 9782812602399, 18 €

 

« L’enfant et l’artiste habitent le même pays » écrit encore l’auteure. Ils parlent donc la même langue. Celle qui énonce que certains, petits, « attrapent la pauvreté » (Petit-Gris, L'Ecole des loisirs, 1995) quand d’autres se trouvent séparés par une « haie d’épines » (Flon-Flon et Musette, L'Ecole des loisirs, 1993). Dans cet album, c’est une « maman à une place » qui refuse un second enfant. La langue efficace, ciselée, qui dit l’essentiel en une phrase, éventuellement deux, n’est pas sans rappeler une manière enfantine de s’exprimer. D’autant que le langage de l’image évoque lui aussi ces dessins à « hauteur d’enfant », et semble en épouser la grammaire (silhouettes cernées, perspective frontale, taille des personnages dans le décor…).

 

Mais Elzbieta n’est pas l’enfant ; elle est l’artiste. Et sûrement pas l’artiste du « faire enfant ». Gardant jalousement ses secrets de fabrication, elle réalise des images à la texture cotonneuse, aux teintes aussi douces que lumineuses, protectrices pourrait-on dire, comme pour envelopper l’enfant de son art, l’enfant confronté à ces « scénarios de vie » qu’elle tire toujours vers une fin optimiste. Ses personnages sont autant de condensés bruts de l’enfance, et l’extrême délicatesse qui cerne ses traits admirables traduit une infinie tendresse.

 

Car tout ce talent – et il est immense : cette grâce des tracés économes, cette intelligence de la narration par l’image au travers de vignettes panoramiques, tantôt images-tableaux, tantôt plans cinématographiques, articulées à des textes qui, pudiquement, lui laissent parfois tout l’espace du sens – et c’est là qu’apparaît l’essentiel, est totalement dédié, offert, à l’enfant.

 

Aussi rare que ce talent, est cette inépuisable générosité pour les jeunes lecteurs d’une auteure-marraine assurément féerique.