Dessine ! Bill Thomson, L'Ecole des Loisirs, 2011 - EAN 9782211205719 - 13,50 €
Ironie du sort : alors qu’on attendait fébrilement la dernière livraison de l’américain David Wiesner (Mardi, Les Trois cochons, Le Monde englouti), et que celui-ci nous déçoit singulièrement avec un Max et son art (Circonflexe, 2011) aussi didactique que statique, c’est un inconnu, Bill Thomson, habitué, lui, des livres pédagogiques, qui signe l’ouvrage qu’on aurait pu attendre du maître de l’album sans texte sur ce même thème : la production artistique des enfants.
Bill Thomson partage avec David Wiesner un traitement hyperréaliste de l’image qui, sans être très « côté » en France (et généralement en Europe) où l’on préfère souvent plus d’innovation graphique et plus d’originalité stylistique, est toujours fort apprécié des enfants. Il faut faire fi de ces appréciations de tendances et de styles, pour reconnaître à Bill Thomson un très grand talent de dessinateur.
Un talent qui ne s’arrête pas à cette perfection d’exécution. Avec Dessine ! Bill Thomson s’impose comme un « grand » de l’album sans texte. Rappelons, à ce stade, que l’album sans texte est loin d’être un simple album dont on a soustrait le texte. L’album sans texte, forme d’expression à part entière, suppose, pour être réussi, une maîtrise rare du récit visuel, de la mise en page et du pouvoir narratif de l’image que seuls quelques créateurs contemporains possèdent tout à fait (citons Anne Brouillard, Antoine Guilloppé, Sara ou encore Suzy Lee sans oublier les « historiques » Mitsumasa Anno ou Enzo et Iela Mari).
Chalk ! © Bill Thomson, 2011 - http://billthomson.com/
Bill Thomson use savamment de ces codes pour mettre en scène trois enfants qui, trouvant des craies, s’amusent à dessiner au sol et s’aperçoivent alors que ces craies ont le pouvoir magique de donner corps à leurs représentations, y compris à un dinosaure, dont seules la rapidité et la ruse pourront les débarrasser.
Une fois encore, le récit en images montre ici ses liens avec le cinéma. L’illustrateur américain offre à chaque double page de saisissant cadrages qui compensent à eux seuls les limites de l’image fixe isolée. Il y intègre toutefois ponctuellement des images en insert qui lui permettent de jouer sur une simultanéité temporelle et spatiale.
Les expressions de ses personnages, ses trouvailles graphiques (l’ombre du dinosaure projeté sur le groupe d’enfants effrayés) achèvent de lui donner tous les outils utiles à l’élaboration d’un album réussi.
L’ensemble est haletant et offre une plongée réjouissante dans l’imaginaire et le jeu enfantins.
Souhaitons que ce nouveau venu dans le paysage éditorial français (grâce à la traduction de L’Ecole des Loisirs) poursuive la création de narrations aussi talentueuses. Et souhaitons également, de tout cœur, que le grand David Wiesner nous revienne prochainement avec un album sans texte d’exception dont il a (mais plus seul !) le secret.
Commentaires
Un bon livre, très jumanjiesque, et votre analyse de la cote de l’hyperréalisme en Europe est très bien observée. Cependant ce livre traîne à mon sens deux boulets qui m’en ont un peu gâché le plaisir:
Loïc Boyer- le groupe d’enfants multicolores bien comme il faut. Pour un peu on croirait le casting de Lost. Manque un obèse.
- et à l’inverse de ce politiquement correct, la répartition des rôles entre les genres est caricatural. Le garçon dans l’action, les filles dans la décoration.
Ceci mis de côté, le plaisir de la lecture est total et je rejoins votre appréciation de cette narration parfaitement maitrisée.
Bonjour,
Excellent album en effet, je l'ai parcouru avec un énorme plaisir et un réel suspense.
Par contre, je vous trouve un peu "dure" avec David Wiesner et son "Max et son Art". Peut-être que votre connaissance de l'oeuvre de cet auteur vous permet d'être aussi critique. Personnellement j'avais trouvé la manière d'aborder l'art très original. C'est d'ailleurs ce qui m'a poussé à m'intéresser à cet artiste. J'attends avec impatience ma commande auprès de mon libraire de ses autres livres : 'Three little pigs', 'Tuesday' et 'Flotsam' !
Enfin je suis d'accord avec vous sur le manque de reconnaissance du style très réaliste des deux artistes américains que vous mentionnez. Mais je trouve que ce style convient extrêmement bien pour créer cette ambiance de suspens qui se dégage par exemple dans Dessine !
PS: Vos articles sont très richement fournis en référence. C'est un bonheur pour découvrir d'autres artistes. Merci pour cela.
dkorMerci de votre commentaire "Dkor". En effet, pris en tant que tel "Max et son art" est une proposition originale pour aborder ce thème. En revanche, pris dans l'évolution de l'artiste, il est très décevant. Je vous laisse découvrir ses précédents albums, je pense qu'ils vous permettront de mesurer quelle peut être la déception des "fans" ! Je vous souhaite quoi qu'il en soit une belle découverte de ce créateur exceptionnel (3 fois lauréat de la Caldecott MEdall tout de même!) et injustement méconnu en France.
SVdLBonjour Loïc,
D'accord avec vous pour le côté Lost (j'aurais dit Benetton), bon, cela paraît très artificiel mais cette volonté d'une représentation de la diversité ethnique est très ancrée dans la culture américaine et est peut-être un peu plus habituelle pour ce public que pour nous... Pour la question d'équilibre dans les genres, force est de reconnaître en effet qu'il n'y apporte pas un soin aussi attentif. Quoi que... le garçon est seul porteur de la catastrophe qu'il semble déclencher par un excès d'assurance... SVdL
SVdL