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Les pins, Lisen Adbåge, Cambourakis, Traduit du suédois par Catherine Renaud, février 2023, 15 €

Depuis une décennie maintenant, les éditions Cambourakis publient en France des albums venus de Suède qui se distinguent sur le marché de l’édition jeunesse par leur liberté de ton et leur profonde singularité. Ce sont des livres parfois rugueux, qui piquent un peu les adultes qui voudraient ne voir dans les livres des enfants que d’utiles vecteurs de leurs principes éducatifs assurés. Dans ces livres là, il y a des gamins seuls dans les rues, des mamans qui traînent en jogging, des maisons en bazar – et parfois même, sales –, des bandes de gosses qui se liguent contre les adultes, et du vrai sang qui coule quand on se fait mal. Il y a surtout un sens aigu de l’enfance, libre, qui expérimente, et n’est pas élevée sous cloche.

La-Nature_COUV.png © éditions Cambourakis, 2022

La jeune Emma Adbåge (prononcez ad-bo-gueu) est déjà emblématique de cette production unique au monde. Il faut voir le jeu des regards de ses personnages dans Le Château, les postures des enfants dans Le Repaire, la subtilité des émotions et des rapports entre enfants dans la série Leni. Avec La nature, publié en Suède en 2020, elle offrait un réquisitoire aussi cinglant que stimulant sur le rapport des humains à leur environnement. Un an plus tard, sa sœur jumelle Lisen, qui commence elle aussi à se faire un prénom dans ce secteur, prenait le relais avec Les Pins. Sa traduction française vient de paraître en librairie. Là, c’est un album un peu plus que rugueux.

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© éditions Cambourakis, 2022

Dans ce livre il y a d'abord — c’est maintenant un lieu commun dans les albums suédois — des enfants un peu disgracieux, une maman qui sait tout faire, dont la spécialité est le tronçonnage, et puis, une cabane au bord d’un lac, entourée de pins. Et ces pins formidables, majestueux, fourniront le bois pour la maison que va se construire cette sympathique famille. Oui mais voilà, après tant de travail à tronçonner et à façonner leur aimable foyer, les parents et les enfants constatent que les planches fixées au mur suintent étrangement. « Ça veut dire que le bois est un matériau vraiment vivant » explique le papa. Il ne croit pas si bien dire. Car rapidement, les pieds du petit dernier vont peu à peu se nervurer et prendre la forme d’une racine ; les membres de la famille se transforment en pins… Les ombres se font alors plus longues, les visages inquiets. La fin, inéluctable, est menée pas à pas, à mots comptés, finement traduits par Catherine Renaud.

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© éditions Cambourakis, 2022

Le livre ébranle la représentation du bien et du mal dans la littérature jeunesse et se refuse à tout moralisme, à toute leçon. C’est une fable, mais pas une fable à la sauce moderne, non, une fable authentiquement de son temps, qui nous ébranle profondément, parce que sinon, à quoi bon ? On est bien au-delà du simple message écologique. On est tout simplement dans une radicalité qui a pour nom littérature.

Les albums des sœurs Adbåge sont également édités par les éditions Versant Sud et L'Étagère du bas. Et les tout premiers titres d'Emma en langue française furent publiés par les éditions Notari