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Le jour où j'ai osé, Nouvelles de Claire Castillon, Oriane Charpenter, Claudine DEsmarteau, Manon Fargetton, Hugo Lindenberg, Vincent Mondiot, Marion Muller-Colard, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Scripto, 2023, 12 €


La collection Sripto, qui compte à son catalogue des titres incontournables du roman pour adolescents, a pris en 2002 le relais d’une autre collection, créée en 1987 par Geneviève Brisac, Page Blanche, dont le nom même la plaçait dans la lignée directe de « La Blanche » de la N.R.F. Gallimard, collection phare de l’une des maisons d’éditions les plus prestigieuses de la littérature française. « Je n'exclus aucun sujet et je ne choisis pas un livre sur son thème, mais sur ses qualités littéraires » déclarait alors Geneviève Brisac (Livres Hebdo, juin 1987), une phrase que les éditeurs suivants auraient pu reprendre à leur compte tant l’orientation avant tout littéraire de la collection est assumée, voire revendiquée. On ne trouve en effet pas de genre identifié chez Scripto, alors même que le catalogue Gallimard Jeunesse est pourtant riche en fleurons des littératures de l’imaginaire, de Harry Potter à la Passe-miroir. Avec Scripto, nous sommes bien dans le registre, plutôt minoritaire dans le secteur du roman jeunesse, de la littérature blanche.

A52246.jpg L'écrivain Hubert Minguarelli, pour la collection Page Blanche


Marquée au fer par des titres comme Junk de Melvin Burgess (1996), et les échos sulfureux de romans qui osent des plongées dans des sujets limites comme la drogue, la sexualité ou le suicide, Scripto a la réputation d’aborder des sujets tabous du roman pour ados. Des sujets choisis par des auteurs qui scrutent la société juvénile. Le mouvement #Metoo a bien évidemment convoqué des titres qui explorent des aspects des violences sexuelles encore peu abordés dans cette production, comme le viol au sein du couple, dans Je serai vivante, de Nastasia Rugani (2021).

Ces mouvements de société n’ont pourtant pas levé toutes les barrières qui enserrent le secteur, et encore aujourd’hui, beaucoup de médiateurs peinent à s’affranchir de la pression des parents, et d’une forme d’hypocrisie qui entend surprotéger des enfants à l’heure de leur prise d’autonomie. Les adultes se sentent souvent en difficulté pour transmettre aux adolescents des titres que l’on devine pourtant nécessaires, à eux qui sont si souvent isolés dans leur confrontation soudaine à la brutalité du monde.

61Fzv8ZKrnL.jpg © Gallimard Scripto


En 2007, la journaliste Florence Noiville déclenchait une tempétueuse polémique en plein Salon de Montreuil en publiant une enquête dans Le Monde des livres intitulée « Pourquoi les livres pour les adolescents sont-ils si noirs ? » dans laquelle la sémiologue Mariette Darrigrand déclarait : "Aux adolescents comme aux plus petits, on offre des livres miroirs, qui les plongent dans un réel sinistre qu'on croit être le leur, quand il n'est pas celui des journaux télévisés." Des polémiques qui ne rendent pas justice à la finesse littéraire de ces textes pour lesquels les auteurs s’étaient alors sentis obligés de préciser le travail qui est le leur, au mot près, rappelant « qu'un écrivain a passé du temps de sa vie à faire advenir ce qui peut être partageable, universel, quel que soit l'âge ». Encore aujourd’hui, des polémiques régulières déclenchées par les sujets des livres, et seulement eux, font aussi l’impasse sur la véritable spécificité de ces textes, à savoir d’être adressés à des adolescents. C’est-à-dire à des individus en voie d’émancipation, aux rapports souvent complexes à leur famille, et aux adultes en général, qui se confrontent crûment aux logiques de classes, aux duretés de la société…

Autant de positionnements convoqués par le recueil de nouvelles publié à l’occasion des 20 ans de la collection Scripto. S’appuyant sur un verbe qu’on a souvent accolé à la collection qu’elle dirige, l’éditrice Isabelle Stoufflet a en effet choisi de lancer aux auteurs le défi de raconter « Le jour où j’ai osé », l’un de ces moments de bascule qui marquent non seulement des jeunesses mais parfois des vies entières.

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Ouvert par le texte éblouissant de maîtrise de Claire Castillon sur une Grande fille très, trop, proche de succomber au charme autoritaire d’un de ces vieux Messieurs qu’elle avait déjà saisis avec une cruelle justesse dans ses nouvelles de 2016 (L’Olivier) et qu’elle approfondit ici dans la subjectivité de son héroïne, le recueil explore les inévitables ambivalences de cet âge de l’entre-deux, le courage qu’il suppose, toujours, et la promesse d’un autre futur qui s’esquisse au cœur de la crise.

En renversant le schéma de ses Derniers des branleurs (Actes Sud, 2020), cancres des banlieues pavillonnaires délaissées, pour adopter le point de vue d’un jeune « fils de », Vincent Mondiot témoigne avec une même acuité de la violence contenue des rapports sociaux et nourrit de sa voix singulière une fulgurante rupture par la passivité.

Le format court de la nouvelle n’empêche en rien Isabelle Pandazopoulos d’emporter à nouveau ses lecteurs par la force de ses personnages et de ses situations, en l’occurrence le huis-clos en unité de vie carcérale d’un père meurtrier et de son fils sous emprise.

Hugo Lindenberg, auteur du très remarqué récit d’enfance Un jour ce sera vide (Christian Bourgois, 2020) apporte lui un style en rupture avec le mimétisme langagier qui marque trop souvent les narrations pour adolescents, et façonne des personnalités fictives denses et inattendues. Suivent les textes de Claudine Desmarteau, Manon Fargetton, Orianne Charpentier et Marion Muller-Colard. Certes, les thèmes sont rarement joyeux et légers. Mais qu’ils soient sombres ou difficiles n’est pas le sujet. Le sujet est plutôt que ces textes ont une force, une langue, des imaginaires puissants à offrir aux adolescents en quête d’une expression poétique à la hauteur des scénarios existentiels auxquels ils se confrontent.

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Visuel Gallimard Jeunesse