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Benjamin Lacombe, Cécité Malaga, Albin Michel Jeunesse, Mars 2022, 22,90 €

L’album est bien cette forme libre, éminemment créative qui, depuis ses origines n’a de cesse de se réinventer en ouvrant de nouvelles voies d'expression. À observer la production contemporaine, cette habileté de faiblit pas. Benjamin Lacombe, qui s’est emparé très tôt, et avec ingéniosité, des techniques qui se présentaient au monde de l’édition illustrée, qu’il s’agisse du pop-up, du format numérique, ou encore de la découpe laser, investit ici un artifice des plus simples, inauguré par Bruno Munari en 1968, avec Dans le brouillard de Milan (Les Grandes personnes) : le calque.

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© Albin Michel Jeunesse 2022

Dès les premières pages, le calque noir opère comme un cache au cœur de la double page. Il dissimule, ralentit la lecture, aveugle bien entendu. C’est que, désignant le nom de son héroïne, le titre annonce explicitement la thématique de l’album, « Cécité ». Le récit le confirme qui met en scène une jeune circassienne, danseuse de corde aveugle. Dans son lien avec la cécité, le calque fait sens par sa matérialité même. En masquant les illustrations attendues, en appelant un geste de dévoilement entre texte et image, il fait bien plus, et implique une temporalité, un rythme inédit. Mieux, il impose un silence en écho à l’aveuglement.
Peu à peu, le calque va gagner en légèreté, perdre de son opacité, accueillir la couleur puis se trouver le lieu même de la figuration du drame traumatique, un accident de voiture ayant emporté les parents de la jeune fille, la laissant orpheline, amnésique et aveugle.

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© Albin Michel Jeunesse 2022

La postface met en perspective l’histoire de cette jeune fille atteinte d’une cécité traumatique. Dans ses albums, Benjamin Lacombe a l’habitude de documenter ses projets, de montrer la lente et rigoureuse recherche qui accompagne chacune de ses réalisations. Ici, il y révèle un événement personnel : la privation subite, heureusement transitoire, de la vision à la suite d’un deuil personnel. De cette expérience qu’on imagine terriblement anxiogène pour un illustrateur, il a fait une tragédie ciselée, organisée comme un chemin de vie et de construction de soi qui tend vers la couleur et la transparence. Benjamin Lacombe, dont chaque livre est un engagement artistique, affectif et intellectuel profond réalise avec Cécité Malaga, l’un de ses albums les plus sincères et les plus intenses.

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© Albin Michel Jeunesse 2022