Capture_d_e_cran_2021-09-10_a__14.54.03.jpg Saehan Parc, Papa ballon, éditions 2024, coll. 2048, mars 2021, 16 €

Petit format carré, aux images surprenantes faites de losanges colorés évoquant une préhistoire du dessin vectoriel, Papa Ballon refuse toute concession à une esthétique enjoleuse, quand la production d’albums emprunte si souvent la voie d’effets spectaculaires. Il faut ouvrir ce livre, tout juste récompensé par le Prix Révélation de l'ADAGP, s’y plonger, y revenir, pour apprécier la maîtrise contenue dans ce premier album pour la jeunesse de la jeune créatrice coréenne vivant en France, passée par la désormais incontournable HEAR de Strasbourg, Saehan Parc.

L’album s’ouvre sur un sortilège, à la manière d’un conte inversé de Claude Ponti, Le Tournemire (1996, L’École des loisirs), dans lequel les enfants se mettaient à flotter. Ici, la première phrase annonce « Ce matin, tous les adultes se sont transformés en ballons ». Hana, qui habite avec son papa, prend la chose avec calme. Y compris quand son père continue à lui donner des ordres à longueur de journée et qu’il la menace de faire une crise cardiaque si elle ne l’écoute pas. Ainsi, tous les enfants s’occupent-ils avec responsabilité de leurs parents, les remplaçant parfois au travail pour continuer à faire tourner le monde. Lequel, peu à peu, prend une autre allure. On y trouve désormais beaucoup plus de glaces, et beaucoup beaucoup plus de chantilly, les parcs sont remplis et les tomates deviennent géantes.

L’histoire glisse alors vers la fable utopique, convoquant cette fois le roman de l'écrivain allemand Henry Winterfield Les enfants de Timpelbach (1937). Le propos aurait pu s’en tenir là, doucement militant, qui définit les contours d’une société florissante aux mains d'enfants dont la diversité sociale est finement évoquée. Il va pourtant plus loin en ramenant en ses dernières pages à la question de la famille et de l’amour filial. Et en l’ouvrant superbement à l’émotion, celle d’une Hana soudain inquiète pour ce père qu’elle avait presque oublié. L’album se clôt alors sur de déchirantes retrouvailles, et une reconfiguration prometteuse des relations entre enfants et parents.

Capture_d_e_cran_2021-09-10_a__14.53.53.jpg © https://www.editions2024.com/livres/papa-ballon

Le texte succinct, inscrit dans une typographie cursive évoquant l’enfance, est aussi simple qu’efficace, multipliant les petites touches, savoureuses, d’un humour subtil éreintant de ses silences ou de ses allusions des adultes fans de séries « sur des voisins qui tombent amoureux les uns des autres ». L’image se saisit de ces blancs du texte, déployant des micros-narrations dans l’économie de ses moyens. C’est que quelques traits, ronds et ovales comme tracés à la règle à modèles, des touches de couleurs imbibées, suffisent à composer des images narratives, qu’un audacieux dispositif de cadres à motifs charge d’expressivité. Ainsi, lorsqu’Hanna subit les remontrances de son père, le cadre est-il composé de têtes paternelles. Mais lorsqu’ils sortent de la maison, le printemps et toute la légèreté qu’il suppose, s’annonce par la figuration d’une florissante glycine, dont le dégradé de parme, diffus, s’accorde à la lumière solaire renaissante.

Faussement simpliste, discrètement sophistiqué et terriblement émouvant, Papa Ballon est un objet singulier de plus au catalogue jeunesse des éditions 2024, autant qu'une contribution décisive aux évolutions de l’album contemporain.

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