Capture_d_e_cran_2020-05-11_a__09.56.07.jpg Claude Ponti, Voyage au pays des monstres, L'École des loisirs, Le Musée d'Orsay, mars 2020, 18,80 €

Après avoir publié l'automne dernier un album, Mouha, mettant en scène non pas un, ni deux, mais huit monstres faussement ou véritablement effrayant, Claude Ponti a fait paraître, quasiment dans un même élan, un Voyage au pays des monstres en mars de cette année. Selon les promesses du titre, on y trouve une foisonnante galerie de monstres, échappée de son imaginaire et de ceux de quelques autres parmi lesquels, bien entendu, le père des Maximonstres, Maurice Sendak, mais aussi ceux de Jérôme Bosch, Windsor McCay, Roland Topor ou encore d'anonymes tailleurs de pierre du temps des cathédrales. Et puis – surtout – ceux de Léopold Chauveau, compacts et énigmatiques, qui « se fabriquent à l’intérieur d’une personne tout doucement, sans faire de bruit », puisque ce livre est un hommage au chirurgien, sculpteur, écrivain et dessinateur sensible des années 1930.

Capture_d_e_cran_2020-05-11_a__09.56.49.jpg © L'École des loisirs, 2020.

C’est la première fois que Claude Ponti publie un « grand » album en plus de celui, annuel depuis 1986, qu’il offre à ses lecteurs chaque automne avec une régularité sans faille. En cela, ce titre paru au début du printemps fait déjà événement. Réalisé à l’occasion de l’exposition « Au pays des monstres », co-édité par le musée d'Orsay, l’album n’a pourtant rien d’un travail de commande. C’est un grand album et un grand livre de Claude Ponti, au même format que le précédent – ce qui, chez lui, n'est jamais neutre. Et c'est donc, aussi, un hommage aux monstres de Léopold Chauveau, cet oublié de bien des histoires de la littérature pour la jeunesse, à laquelle l'auteur-illustrateur, né en 1870, a pourtant offert, comme Gianni Rodari plus tard, de superbes dialogues de personnages père-fils, récits cadres de la création littéraire, des fables légères et puissantes, des images associant traits graciles et masses noires d’une grande force graphique qui semblent anticiper un Edward Gorey… Et des monstres. Des monstres gentils, pour la plupart, contrairement à ceux de Claude Ponti. Mais dans leur rapport à la guerre, à l’enfance, à la création, à l'éducation, aux jeux avec la langue, avec Rabelais, Jarry ou Lautréamont en partage, ces deux-là devaient se rencontrer.

Capture_d_e_cran_2020-05-11_a__09.56.36.jpg © L'École des loisirs, 2020.

L'hommage à Léopold Chauveau, permet à Claude Ponti de se livrer sans restriction à des références de toutes natures – allusions, citations, motifs... – tout en conduisant avec finesse l'insertion de l’œuvre passée aussi bien dans sa structure même, un récit-cadre, que dans la mise en scène des fameux monstres.

Capture_d_e_cran_2020-05-11_a__09.56.25.jpg © L'École des loisirs, 2020.

Mais le livre se lit aussi, mettons dès 5 ans, pour ce qu’il est : un récit initiatique, dense, vivant et stimulant, éloge de l’imaginaire et de la fantaisie, troublante vision pré-confinement d’un Paris désert traversé par un bus fantôme. Tiens-donc. C’est aussi le premier album de Claude Ponti dans lequel un narrateur à la première personne ne se montre pas, caché tout au long du livre dans une coquille, en compagnie de « Toikili ». Si, tout de même, il apparaît pour un petit salut final. Et c’est un petit garçon, dirait-on.