Anne Brouillard, Le pays des chintiens - Les Îles, Pastel, octobre 2019, 18 €.
Le lecteur observateur qui, refermant le premier opus du Pays des chintiens, La Grande Forêt, avait deviné que d'autres tomes étaient à venir, trouve, trois ans plus tard, confirmation à son intuition alors que paraît le deuxième titre : Les Îles. Or, de tous les pays à explorer, celui des Îles n'était sans doute pas le plus évident à anticiper, à cause de sa situation sur la carte principale ou de son aspect morcelé. À cette première surprise, s'ajoute celle d'un voyage traversant plusieurs contrées, en particulier le Pays Noyé, sorte de Venise engloutie. Mais, dans cette attente doucement bousculée, la plus délectable des surprises repose peut-être sur les évolutions apportées au modèle initial, convoquées par un style plus pictural au sein de double pages amples et impressionnantes.
© L'École des loisirs 2019
Pour le reste, tout ce qui constitue le délectable "retour du même" entre deux tomes (indépendants) d'une série est bel et bien au rendez-vous : personnages principaux autour de la sage Véronica et du chien Killiok amateur obsessionnel de café – Bébés Mousses 3, 4, 5, 7 et Nuisibles compris – tension entre le confort du chez-soi et l'appel du voyage, multiples cartes détaillées, inventions fantaisistes, amitié et joie d'être ensemble, sens de l'aventure ou du détail, tout ce qui fait la saveur de cette œuvre si singulière appelle ici à être pénétré plus avant.
© L'École des loisirs 2019
L'album, atypique, épais, usant des codes du livre illustré comme de la bande dessinée ou du documentaire, regorge de trouvailles fictionnelles et d'images inoubliables, comme celles du tour de magie, de la tempête ou de la chambre d'hôtel. Et aux multiples jeux avec la géographie imaginaire, "d'itinéraires prévus" en explorations sous-marine impromptues, s'ajoute un jeu sur le temps, d'autant plus remarquable qu'il se réalise dans sa plus éclatante réalisation par le biais d'une séquence sans texte, langage graphique le moins à même d'exprimer le passage du temps. Aux pages 58 et 59, Véronica et Killiok se reposent sur un banc alors qu'ils explorent cette fois une ville bien humaine. Des cadrages imperceptibles et une luminosité subtile les conduisent doucement vers la nuit et l'heure des retrouvailles avec leurs amis. Une journée semble avoir passé en cinq vignettes, un souffle, toute une vie.
© L'École des loisirs 2019
Deuxième volume du projet "Chintia", Les Îles est aussi le trente-cinquième album de la créatrice. Il vient renforcer de son unité un ensemble d'une rare cohérence, convoquant des personnages, des constructions ou des lieux des albums antérieurs, s'insérant dans le réseau dense et vibrant de références comme autant de sémaphores montrant la voie au lecteur dans les méandres fascinants d'un univers littéraire et artistique sans pareil.