33226030_416245115508868_4464228250578583552_n.png Fabrice Colin, Rester debout, Albin Michel, collection Litt', mars 2018, 15 €

La couverture, avec son tramé bleu et ses vagues irisées, le sujet, la biographie d’une femme certes exceptionnelle mais appartenant avant tout au siècle passé ne feront sûrement pas rêver la jeunesse d’aujourd’hui. Pourtant, la lecture de ce texte de Fabrice Colin, a tout d’une lecture fondatrice.

S’attachant d’abord à l’enfant Simone Jacob, à sa sensibilité et surtout à son intelligence, au contexte familial, à la figure solaire de sa mère, à ses relations avec ses sœurs et son frère, l’auteur déploie un très beau portrait de celle dont la disparition a ému la France il y a un an.

Peu à peu, se superpose le récit d’une expérience à la portée plus large, celle de la réaction d’une famille juive française à la montée du nazisme. De l’accession au pouvoir d’Hitler aux lois sur le statut des juifs du régime de Vichy, des rencontres avec la famille Freud ou avec l’écrivain Raymond Aron, le texte dépasse alors le seul cadre de la biographie et soulève de manière singulière – en plongeant dans les affres quotidienne d’une famille, la famille Jacob – des questionnements qui n’ont de cesse d’interroger, depuis, nos sociétés : quand réagir, comment comprendre, pourquoi espérer ?

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Oscillant dès lors entre ces deux niveaux de l’histoire, qu'il sache ou non que Simone Veil fût déportée, la tension narrative étreint le lecteur à mesure que s’approche l’année 1944. Et l’arrestation de la jeune bachelière, puis la déportation de toute la famille, l’envoi de la mère, de Simone et de sa sœur Milou au camp de Bergen-Belsen, les conditions de leur détention, l’assassinat du père et du frère, les amitiés nouées au camp, notamment avec Marceline Loridan-Ivens, l’intervention salvatrice d’une chef de camp, la mort de la mère atteinte du typhus, puis la libération, tout est raconté en une poignée de pages.

Ce serait donc tout ? Non, bien sûr que non, car c’est alors que Fabrice Colin revient sur l’ellipse, écarte le cœur de l’ouvrage, et déploie une partie centrale, nodale de ce texte, signalée par un signe de ponctuation qui ouvre davantage qu’il n’élude : « (…) ».

Et l’auteur franchit la porte des enfers. Non, il n’éludera rien de la déportation. Il se hisse au niveau de l’enjeu, de « la représentation impossible ». Et comme son contemporain le cinéaste hongrois László Nemes avec Le Fils de Saul, il se confronte, se heurte, s’immerge dans l’horreur pour en remonter un propos artistique, supportable, acceptable, parce que résolument artistique. Et opiniâtrement respectueux. De cette anti-parenthèse de 85 pages, nul lecteur ne peut ressortir indemne.

Le cours de la biographie de Simone Veil peut alors reprendre. Mais tout aura déjà été dit. Nul besoin d’en offrir un développement artificiel en s’attardant sur les événements de l’âge adulte, le destin de la femme d’exception. Car tout se joue là, dans la capacité de cette jeune rescapée à se tourner résolument vers la vie. Et c’est bien là aussi que se noue précisément cette lecture fondatrice et universelle qu’est Rester debout.

(...)