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Le mauvais pli, Juliette Binet, éditions du Rouergue, septembre 2017, 12,90 €

Il y aurait à écrire une petite histoire du jeu avec la pliure dans l'album pour la jeunesse, ce support d'expression qui suscite tant d'explorations de sa propre matérialité. L'exercice permettrait de tisser un lien entre le duo Olivier Douzou-Frédérique Bertrand (Les Doigts niais, 2001), Suzy Lee (La Vague, 2009), Marie Dorléans (Mon voisin, 2012) ou encore Bernardo Carvalho (Halte, on ne passe pas, 2015) et quelques autres créateurs contemporains, tout en les rattachant aux ouvrages précurseurs de l'américain Peter Newell, de l'italien Bruno Munari ou encore du brésilien Ziraldo. Par exemple.

Dans cette histoire, Juliette Binet apporte sa touche très personnelle, plongeant l'album dans une élégance formelle extrême dont elle seule semble détenir le secret. Outre la fabrication parfaite, la sensualité du papier et l'usage incroyablement raisonné de l'espace, l'illustratrice convoque son travail au trait, tout en finesse, et sa couleur, légère et délicate.

De la pliure à la reliure existe un rapprochement linguistique, mais aussi plastique évident, dont se saisit avec bonheur la créatrice qui voue un véritable culte à ce motif graphique au travers de son œuvre tout entière.

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© Rouergue 2017

Là où la pliure est souvent conçue comme frontière ou barrage, Juliette Binet choisit d'en faire un passage fructueux, qui déforme autant qu'il étonne et multiplie à l'envi. Le livre devient une sorte de palais des glaces joyeux et créatif car, bien entendu, l'axe symétrique qu'est la pliure y joue aussi sa propre partition, avant de mener à l'envolée finale, où le hors-champ apporte un prolongement inattendu.

Lorsque Massin évoquait la symétrie de la double page comme "un espace dénué de vie" (1), il n'imaginait sans doute pas une créatrice apte à faire l'éclatante démonstration du caractère si fécond de cet espace inépuisable.

(1) Massin, La Mise en pages, Paris, Hôebecke, 1991, p. 65.