Jean-François Chabas, Le diable de monsieur Wai, L'Ecole des loisirs, Coll. Neuf, avril 2016, 9 euros
C'est une couverture rugueuse et intrigante à souhait de Gabriel Schemoul qui nous fait pénétrer le récit d'enfance de Kin, frère de sang et de cœur de son cadet Jen, ayant grandi dans l'environnement naturel privilégié de l'île de Yu. Les deux frères vont rapidement chuter de leur paradis, et se trouver confrontés à la sombre et tourmentée personnalité de Monsieur Wai, lequel les emporte chez lui, au-delà de la mer, sur le continent, pour le servir, loin de leur famille et loin de leur île, auxquelles ils sont tant attachés.
Ces deux frères sensibles, perspicaces et courageux, issus de la grande pauvreté, mais riches d'une éducation sans faille, prodiguée par des parents éprouvés par le labeur, toujours aimants et bienveillants, sauront ainsi trouver les ressources pour vaincre leur peur et plus encore, trouver, à la manière d'un conte, la voie d'une résolution générale apaisée. Voici donc une histoire profondément humaine, qui oppose attention à l'autre et empathie, aux craintes et croyances.
Le diable de monsieur Wai, page 11 © L'Ecole des loisirs 2016
À rebours de bien des modes et des tendances du roman jeunesse, l'ambiance de ce texte, la singularité des personnages, construisent peu à peu un récit d'une profonde originalité, tout en offrant bien des ressorts thématiques captivant les jeunes lecteurs. Et il en est ainsi de chacun des textes de Jean-François Chabas, qui emportent tour à tour le lecteur sur les traces "d’un Vénusien collectionneur d’humains, d’un ange, dans le grand désert du Namib. De tatouages qui prennent vie. D’un ogre blanc, d’une eau verte, d’une tortue rouge, d’une toile d’argent, d’un lac bleu, d’un trèfle d’or. D’un perce-neige révolté. De chevaux extraordinaires, et de crocodiles gigantesques. Des frontières qu’on franchit sans le savoir, et de l’Esprit des glaces. Des sortilèges de l’amour, du pays des licornes. Des lionnes et de la femme-nuage. Des sorcières qui ricanent dans les fjords, et du farfadet malheureux. D’Asami, celui qui nage, et de mille autres personnages", selon les termes même de l'auteur.
Et ce qui fait sens, ce qui fait corps, dans l'immense foisonnement des sujets des livres de Jean-François Chabas, est cette écriture limpide, pourtant imprégnée d'une grande richesse lexicale, laquelle s'insère, sans excès, avec mesure, dans des phrases toujours inattendues et fluides. Il en résulte une grande élégance du style, une langue accueillante et généreuse qui offre au lecteur le luxe de s'attarder, de se lover presque en son rythme et ses sonorités.
Jean-François Chabas élabore des univers romanesques d'une extrême cohérence, dans lesquels rien n'est à retrancher, rien n'est à ajouter, tout reste à prolonger par la rêverie et un imaginaire profondément stimulés par ses textes si suggestifs. Il est l'un des très grands auteurs pour le public jeune, il ne faudrait pas que son extrême discrétion le fasse oublier.