Malermester Groenn_Cover.indd Yokoland-KapteinBlaa-Cover.indd Yokoland, Monsieur vert et Monsieur Bleu, Les Grandes personnes, mars 2016, 15 € chaque

Le moins que l'on puisse dire, au sujet des éditions Les Grandes personnes, est que leur catalogue ne manque pas de cohérence. Monsieur Vert et Monsieur Bleu viennent en apporter une nouvelle démonstration, s'inscrivant à la fois dans la lignée du premier album pour la jeunesse du maître italien Bruno Munari, Dans la nuit noire (1956, réédition les Grandes Personnes en 2012), par leurs vastes pages noires emplies de formes épurées et limpides, usant d'une palette franche et resserrée, et dans celle des créateurs qui, depuis Paul Rand, conjuguent activité graphique dans le secteur de la communication visuelle et albums pour la jeunesse. De fait, le collectif norvégien Yokoland, comme Jan Bajtlik dont le prochain album paraîtra prochainement (toujours aux mêmes éditions), et comme désormais beaucoup de jeunes créateurs actuels, s'attache à une conception de l'album comme un objet global, à l'efficacité formelle irréprochable, qui synthétise à l’extrême ses formes et offre une composition équilibrée entre texte, image et support. Le tout sans perdre des yeux la relation, ludique, au lecteur.

Monsieur_Bleu_intérieur_29-04.indd © Les éditions Les Grandes Personnes, 2016

Jean-Baptiste Coursaud, le traducteur, nous avait déjà parlé de ces livres, et du collectif, dans les colonnes d'''Hors-Cadre[s'' en 2013|http://www.revue-horscadres.com/numero-13.swf]. Il y soulignait l'obsession de Yokoland pour la couleur, là où d'autres se focalisent sur le trait ou la forme. De fait, ces deux albums pour le très jeune public sont des livres qui ont pour unique sujet la couleur. Et l'écrin noir des pages sert à l'évidence cette focalisation sur le vert pour l'un des albums, sur le bleu pour l'autre. Seules autres couleurs autorisées, qui elles aussi rehaussent la couleur phare, le blanc et le gris. Et les deux albums de mettre en scène des narrations où le bleu et le vert tiennent une place centrale glissant constamment du registre esthétique au registre fictif. Là où le collectif innove vraiment (car après tout, quantité d'albums sur la couleur la mettent également en scène), c'est lorsque la narration dépasse le cadre strict de la palette choisie. Dès lors si Monsieur vert est bien vert, sa maison rouge, elle, est figurée en blanc. De même que des chaussures jaunes, ou la pendule marron. Oui, mais la cravate grise, elle, est belle et bien grise !

Monsieur_Vert_intérieur_29-04.indd © Les éditions Les Grandes Personnes, 2016

Dans le fonctionnement si tranquille de la correspondance habituelle mot/image dans l'album pour les tout-petits, un tel détournement a valeur de joyeux parasitage. La convocation de la pipe de Magritte est éclairante du projet qui sous-tend cette conception : nous sommes dans un livre qui interroge ses propres codes de représentation. Mais pour les enfants ? C'est là que tout prend sens. Dans cet album graphique, minimaliste, aux formes épurées et à la narration maîtrisée en tout point, le second degré produit par ce fonctionnement est limpide. Il offre un mécanisme ludique qui, ainsi mis en exergue par le dispositif formel et, surtout, soutenu par une narration éminemment plaisante pour l'enfant, au texte musical, aux enchaînements burlesques réjouissants, le fait entrer en douceur, avec joie dans le registre si sophistiqué de l'ironie. Cohérence, disions-nous...