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Texte français de l'éditorial du site The Children's Book Factory

Dès lors que les enfants ont accès à l'information, la littérature est là pour éclairer leur réflexion, apporter des éléments de compréhension, voire lever leurs inquiétudes. En tant qu’objet intime permettant une ouverture sur le monde, le livre est sans aucun doute l’objet idéal à partir duquel réfléchir le monde.

L’édition française est réputée pour sa capacité à aborder des sujets dits « tabous » en littérature pour la jeunesse. On pourrait presque parler d’un « savoir-faire français » en ce domaine. Il est vrai que la « petite édition », soit les maisons d’édition de petite structure, indépendantes et libres de leurs choix ou de leurs prises de risques financiers, ont réussi à défricher de nombreux espaces d’expressions... Les premiers le firent, après guerre, en réaction au consensus entourant une édition pour la jeunesse aseptisée et sans aspérité, sous surveillance depuis la loi de censure du 16 juillet 1949. Plus généralement, ils le firent en réaction à l’esprit d’une époque qui entendait préserver les enfants en supprimant toute évocation ou représentation dérangeante dans les livres qui leur étaient destinés.

Ce mouvement s’est affirmé en 1968, et dans les années qui suivirent des éditeurs militants ont défendu le droit à la différence, ou revendiqué des schémas féministes, osant pour la plupart aborder des sujets jusqu’alors écartés des livres pour enfants. Ces petits éditeurs ont proposé des titres forts, émotionnellement, qui furent autant de percées dans l’image figée et convenue que la société française se faisait alors de l’enfance.

Certains de ces éditeurs militants sont toujours en activité, et perpétuent ces objectifs. D’autres ont pris le relais, et en ont fait leur ligne éditoriale, renouvelée, ancrée dans le XXIe siècle. D’ailleurs, ces thématiques ne sont plus l’apanage des seuls petits éditeurs.

On pourra parfois reprocher une intention très idéologique et par trop démonstrative. Mais le plus souvent, ces thématiques sont abordées dans le respect de l’enfant et de sa sensibilité. Auteurs et éditeurs ménagent des filtres, convoquent ces sujets avec pudeur ou délicatesse, usant très souvent du symbole ou de la métaphore. L’écart fécond qui sépare le texte de l’image est bien ce garant d’une interprétation qui ne sera pas forcée. Là est l’espace du jeu, là est l’espace de la liberté et du respect de chacun ; comprend qui peut, ou qui veut.

Quiconque possède un minimum de clairvoyance et d’honnêteté envers soi-même sait que l’enfance n’est pas ce territoire exempt de toute part d’ombre, comme on pourrait pourtant le croire à la lecture d’une part écrasante des livres pour la jeunesse. C’est là que réside la force de la littérature, dans l’écho qu’il peut donner aux enfants lecteurs de leurs turpitudes, de leurs difficultés à se reconnaître dans l’image d’eux-mêmes, tronquée, que la société leur renvoie.

Personne n’a envie de proposer la lecture d'un livre qui évoque la violence, la guerre ou la mort. Et pourtant, n’y a t-il pas une nécessité croissante à répondre aux interrogations des enfants alors même que l’information se développe et leur donne quotidiennement l’occasion d’être confrontés aux atrocités du monde ? L’enfance est cette période, privilégiée, de construction sensible de la personnalité. Être soutenu dans cette construction par des livres à la fois audacieux et bienveillants est une chance trop rarement partagée par les jeunes lecteurs. Conjurons nos peurs et nos réserves, et offrons des livres qui sachent répondre à cette ambition.