Texte français de l'éditorial d'octobre du site The Children's Book Factory
La forme principale de l’album est celle, issue de la tradition du dessin, des classiques de l’album anglais et américain : « l’album narratif ». Edward Ardizzone, Maurice Sendak, Uri Shulevitz, Arnold Lobel, Quentin Blake, Allan et Janet Alhberg, Helen Oxenbury… en sont ses plus illustres représentants.
L’album narratif, qui fut, en France, pleinement investi pour la première fois par Jean de Brunhoff en 1931, se trouve aujourd’hui en concurrence avec des albums aux accents plus graphiques, hérités, eux, de Bruno Munari.
Car depuis une dizaine d’années, le paysage éditorial français a laissé une large place à ces productions à l’esthétique parfaite, aux formes épurées, et qui bien souvent sollicitent le sens ludique des jeunes lecteurs. Après avoir été quelque peu boudés par les médiateurs du livre, ces albums connaissent désormais un intérêt croissant, au risque parfois d’éclipser des albums de facture plus classique.
Pourtant l’album narratif francophone reste rayonnant, notamment parce qu’il continue à se développer, porté par ses maîtres (Claude Ponti, Philippe Corentin, Grégoire Solotareff, etc) et rejoint par une nouvelle génération d’auteurs-illustrateurs s’inscrivant dans cette lignée.
Ces dernières années, l’humour s’est imposé comme un vecteur fort d’albums « à raconter » qui ont très largement séduit une audience élargie. Car les albums humoristiques suscitent l’adhésion ravie d’une lecture partagée entre adulte et enfant. Les auteurs offrent ainsi des textes à l’oralité travaillée dans ses expressions, dans son comique de répétition, des chutes inattendues et savoureuses, et ces textes sont généralement mis en images de manière vivante et joyeuse, par des illustrateurs virtuoses en ce domaine.
Les qualités de l’album narratif sont nombreuses. Il implique une mobilisation des compétences de lecture très fructueuse. Au moins un énoncé verbal et un énoncé visuel interdépendants sont en présence sur l’espace de la double page. La lecture doit suivre les interactions dynamiques entre le texte et les images, et le sens profond de l’album émerge en fait de leur mise en relation.
Surtout, l’album narratif met en scène un récit, qui est la forme première de la littérature et sans aucun doute, la plus structurante pour l’enfant. En effet, le récit apporte un déroulé linéaire des faits, une chronologie, les événements découlant les uns des autres. Ce fil conducteur est extrêmement fondateur pour le psychisme de l’enfant. Et ces histoires mettent en scène de véritables « scénarios de vie », qui permettent à l’enfant de se préparer à affronter les crises qui ne manqueront pas de se présenter à lui.
À l’heure où le numérique et les écrans tiennent une place de plus en plus importante dans le quotidien des enfants, la présence, dans ce quotidien, des histoires lues paraît encore plus essentielle. Le pôle culturel de l’enfance a besoin d’équilibre, de contrebalancer l’agitation par le calme, la complexité et le foisonnement par la clarté et la limpidité.
Le livre est un objet tangible, son texte, la succession de ses pages est immuable. Il est une promesse de permanence, un pôle de stabilité absolument essentiel dont il faut, plus que jamais, continuer d'abreuver les enfants.