Thomas Scotto (texte), Régis Lejonc (images), Kodhja, éditions Thierry Magnier, octobre 2015, 20,50 €
C'est d'abord un format immense (28 x 38 cm), qui donne l'impression d'un livre littéralement grandi. Et donne également à son contenu l'allure d'une indécision ; entre album illustré, pour la taille des images, et bande dessinée, pour la mise en page en vignettes. S'interroger sur la forme et le support n'est pas qu'une question de spécialiste. S'agissant d'un livre sur l'adieu à l'enfance, la question est au contraire cruciale : ce livre sera-t-il lu à l'enfant ou ce dernier le lira-t-il seul ?
Alors que les sociétés occidentales multiplient la segmentation des âges (petite enfance, pré-adolescence, etc) on sait qu'elles ont cessé d'organiser leurs propres rites initiatiques... C'est l'un des rôles, nombreux et cruciaux, que peut tenir, par procuration, la littérature aujourd'hui. Et Kodhja le tient singulièrement... Ce livre offre à son lecteur un récit initiatique dont la densité narrative et la puissance de l'imaginaire en font un futur classique du genre.
© éditions Thierry Magnier, 2015
Figures symboliques, mondes inconnus, métamorphoses, étapes qualifiantes, tous les ingrédients du récit d'initiation sont bel et bien convoqués. Mais les choix esthétiques, du texte comme de l'image, ainsi que les choix éditoriaux, qui aboutissent à cet objet hybride, le placent assurément dans l'exception.
Thomas Scotto convoque ici toute sa sensibilité, ainsi que sa grande capacité à mêler écriture recherchée et émotion palpable, pour un récit dense et profond. Dès lors, il faut tout le talent de Régis Lejonc pour offrir un registre graphique à la hauteur de l'ampleur narrative déployée par l'auteur. Dans un style sobre, usant d'un nuancier d'une grande élégance, aux teintes sourdes, remarquablement chaleureuses, il réussit à faire sourdre des images une puissance merveilleuse, comme cette figuration d'une eau prodigieuse qui produit un effet spectaculaire avec une grande économie de moyen... La langue de l'auteur est ainsi sublimée par une mise en scène visuelle qui sans jamais perdre d'un pouce le récit, lui offre une ampleur sensationnelle. Car les méandres et la somptuosité du palais, son architecture fabuleuse et décadente, ses espaces vides ou labyrinthiques, écrasés de soleil, mais aussi les nombreuses références ou encore les trouvailles réjouissantes, comme cet enfant qui change constamment de masque sans que le texte n'en fasse mention, créent un univers d'auteur des plus originaux. À l'évidence, cet univers se fera une place de choix dans l'imaginaire des lecteurs, sans doute aussi inoubliable que le furent pour leurs parents (et assurément pour les auteurs) les mondes explorés par Alice ou Dorothy.
© éditions Thierry Magnier, 2015
Adéquation parfaite d'une collaboration entre un auteur, un illustrateur et un éditeur, Kodhja est la démonstration magistrale que la création contemporaine d'albums est plus que jamais vivante et tournée vers un avenir, celui de ses lecteurs.