choses_Gibert_couv.jpg Bruno Gibert, Leçons de choses, Albin Michel Jeunesse, octobre 2015, 14,50 €

Qui n'a pas, enfant, passé des heures délectables à éplucher les pages des Leçons de choses des Classiques Hachette ou Delagrave, fasciné par les visions en coupe du corps humain, la valse des tubes à essais ou l'étrange texture de la peau humaine étirée par un pincement, ne pourra pleinement pénétrer la substantifique moelle de ces Leçons de choses de Bruno Gibert.

Avec un syncrétisme esthétique qui force l'admiration, le créateur réussit à la fois à plonger le lecteur dans l'univers très codé de ce genre éditorial florissant dans les années 1950 (dessins naturalistes, schémas en tous genres, encadrés en aplats, inserts d'horribles photographies approximatives...), et à le tirer vers une perfection graphique résolument moderne (pureté de la forme et de la couleur, équilibre de la mise en page, élégants tramés...)

Quoi que truffé de références, le projet n'est en rien nostalgique. Bruno Gibert ne fait pas un livre "à la manière de", il réinvente le genre au moyen d'un détournement poétique. Car la pataphysique prend le pas sur les sciences physiques dès le premier texte « Retournez une cloche en verre. Ce rien qu'elle contient s'appelle l'air. On appelle ça "l'air de rien"» et jusqu'au dernier « C'est en observant les mouches volant dans son appartement que la comtesse Joséphine a découvert que leur déplacement en zigzag dessinait les caractères d'un alphabet inconnu » et l'auteur de nous offrir en contrepoint l'illustration de cet alphabet constitué de 13 lettres – les seules utilisées par les mouches.

Et le projet dépasse la vaste farce potache. Car en toute page le vrai pointe, et le beau, et le troublant. Toute la réussite de l'auteur est de constamment renvoyer le lecteur non seulement à son sens critique, mais plus encore à tous les sens de ses sens. Ce faisant, il renoue avec l'une des sources premières de la littérature pour la jeunesse comme de l'éducation, soit le pédagogue Coménius, auteur de l'Orbis sensualium pictus : « On doit présenter toutes choses, autant qu'il se peut faire, aux sens qui leur correspondent ».

Apprendre à l'enfant à se servir de ses sens, de son intelligence ou de son appréciation esthétique plutôt qu'à attendre du livre un savoir transcendant, voilà qui ne manque pas d'intérêt dans la période...