Couv-trou-orseter.jpgØyvind Torseter, Le Trou, La Joie de lire, 2013, EAN 9782889081660, 24,90 €

Traduction (norvégien) Jean-Baptiste Coursaud (ed. or. Hullet, Cappelen Damm)

 

Grâce aux évolutions technologiques de l’imprimerie, de plus en plus d’albums recourent à des effets de matérialité sans nécessairement être des livres dits « à système », ceci afin d’enrichir la narration. Ainsi, une page en pop-up peut-elle venir clôturer un album sans qu’on s’y attende, une découpe intervenir de manière impromptue au détour d’une page ou des embossages créer une image sur une page rigoureusement blanche. Le phénomène n’a pourtant rien de nouveau, la réédition récente des ouvrages de Peter Newell (Albin Michel Jeunesse) étant venue nous le rappeler, puisque cet auteur américain né en 1862 créait déjà des effets de matérialité au service d’une fiction. Son Livre fusée (1912, réédité en 2008), dans lequel un enfant laissant s’échapper une roquette d’un tiroir voit celle-ci percer fictivement comme matériellement un étage de l’immeuble par page.

 

trou-orseter.jpg © La Joie de lire 2013


C’est sans doute dans la lignée de ce livre de Peter Newell qu’il faut placer Le Trou d’Øyvind Torseter. Ici, le choix matériel est d’autant plus radical qu’il transperce l’ensemble du livre (épais), plats de couverture compris, lesquels, bruts et rognés au format des pages donnent d’autant plus l’illusion d’un bloc percé. Mais si, chez Peter Newell, le trou physique intervenait comme un ajout au service de la fiction, chez Torseter il est le sujet de la fiction. C’est que le trou est là, central, l’album étant construit autour du trou, tout comme La Linea de Osvaldo Cavandoli était construite à partir de la ligne. Le trou est donc incontournable pour le lecteur bien avant l’arrivée même du personnage qui le découvre, dans l’appartement dans lequel il vient d’emménager. Le lecteur est d’emblée placé en position de spectateur, le livre oscillant entre théâtre et animation. De l’humour on glisse vite vers l’absurde et, de là, bien évidemment vers le métaphysique puisqu’on n’échappe ni au questionnement existentiel, ni au relativisme sur lequel s’achève le livre : quoi de plus facile à oublier qu’un trou ? Ceci au sein d’un album d’abord réjouissant, pour tous les âges, très divertissant, quasi burlesque dans ses séquences muettes.