Illustration de couverture par Benjamin Chaud
Revue Hors-Cadre[s] n°12, mars 2013, L'Atelier du Poisson soluble. ISSN 1960-7075
En vente sur abonnements ou en librairie.
La revue Hors-Cadre[s] sera présente à la Foire Internationale de Bologne (stand du BIEF) du 25 au 28 mars 2013
édito
Invention et narration : le pas de deux
Alors que l’imaginaire tenait ces dernières décennies une place grandissante en tête des tableaux des meilleures ventes, et envahissait peu à peu les productions standardisées, les créateurs d’album et de bande dessinée, se sont eux favorablement centrés sur les innovations formelles et sur la recherche de nouvelles singularités graphiques ou narratives.
Sans doute, toute proportion gardée, peut-on considérer que ces secteurs de la création ont vécu là leur époque moderniste.
Le modernisme a affirmé l’indépendance de l'Art vis-à-vis des formes narratives, et, en premier lieu, de la littérature. Chaque médium, chaque discipline artistique a travaillé son émancipation de la figuration. Toute création devait se centrer sur ses propres valeurs intrinsèques, soit : la ligne, la forme et la couleur. Et l’histoire de l’art a montré que la France a largement plongé dans cette radicalité et ce refus du narratif.
Dans le domaine des littératures graphiques – et tout particulièrement dans l’album –, le récit, l’imaginaire, et plus généralement la linéarité et la chronologie s’en sont trouvés pour un temps éloignés des propositions les plus audacieuses. Sans doute parce qu’ils étaient associés dans les esprits à des styles trop conventionnels voire traditionnels… Sans doute aussi parce qu’il était nécessaire de valoriser l’écriture en tant que telle. C’est en effet durant cette période que les techniques et les styles se sont diversifiés de la manière la plus fulgurante. Peinture, collage, photographie, composition en volume, plus aucune technique n’est aujourd’hui empêchée dans un champ éditorial où l’usage du trait et de la mise en couleur ont largement dominé. C’est qu’il fallait, aussi, déstabiliser la toute puissance du dessin.
La critique s’est largement fait l’écho de ces évolutions. Parce que c’est bien là que s’épanouissaient les nouvelles tendances et les nouveaux acteurs. L’ouverture (certes bien lente à advenir) d’une ère numérique de l’édition, le développement d’expériences collectives, interactives, comme la recherche bouillonnante qu’elles impliquent ont achevé de ringardiser les schémas narratifs linéaires, donc traditionnels.
À cela se sont superposés d’autres clivages dans le domaine de l’album pour la jeunesse, où ces recherches formelles ont été jugées, à tort ou à raison, comme incompatibles avec le public enfantin destinataire. À tort parce que rien n’empêche un enfant d’apprécier un travail purement formel. À raison parce qu’il s’agissait bien sûr d’affirmer l’album comme un support d’expression artistique à part entière, universel, comme une offre émancipée de sa demande.
Mais ce qui aurait pu évoluer vers un clivage profond, comme en peinture, où la figuration narrative fut en son temps un contrepoint, voire un contre-pouvoir à l'hégémonie moderniste triomphante, se trouve aujourd’hui l’objet, si ce n’est tout à fait d’une synthèse, au moins d’un dialogue.
D’abord parce que nombreux sont ceux, y compris parmi les éditeurs, qui ont maintenu ce cap, n’ont pas clivé recherche formelle et narrativité, et qui ont précisément interrogé de nouvelles voies pour la narration. Finalement, l’effervescence et la radicalité ont donné prise à la réflexion, à une vision large, pondérée. Soutenus en cela par un public qui exprimait cette perte de repères et ne cachait pas son engouement pour les valeurs refuges du récit.
Ensuite, et surtout, parce que la production narrative n’a jamais cessé d’exister, d’être vivante et de travailler au renouvellement de son propre sillon. Si les tenants de la « nouvelle bande dessinée » apparue au cours de la dernière décennie du XXe siècle, ont affirmé l’ambition d’ouvrir le 9e art aux champs des autres disciplines artistiques, leurs innovations plastiques n’ont pas abouti à l’abandon du récit mais bien plutôt à une autre forme de narration.
Quant à l’album, il est extrêmement intéressant de constater aujourd’hui que ceux-là mêmes qui ont été les acteurs de ces innovations, qui ont profondément travaillé à l’émergence de ce travail graphique se tournent positivement vers le récit et l’imaginaire sans pour autant rien abandonner de leur inventivité.
Dès lors, la jeune génération qui arrive aujourd’hui sur la scène de l’album comme sur celle de la bande dessinée peut précisément imposer sa singularité par la voie même de la narration. Reste maintenant à donner un premier aperçu de cette synthèse, c’est l’objet du numéro : « La narration aujourd’hui ».
Sommaire
Où en est l'album narratif ? par Sophie Van der Linden, Le merveilleux voyage de l'ours : aller et retour par Françoise Gouyou-Beauchamps, Bou et les 3 zours, un conte à rebours, par Pierre Bessagnet, Olivier Douzou : la constante de la narration et du dessin, par Adèle de Boucherville, Le renard de qui ? par Yann Fastier, Petites narrations naturelles sur un fil, par Sophie Van der Linden, Présentation de Benjamin Chaud par Philippe-Jean Catinchi, Écritures du moi par Liliane Cheilan, Les libres partitions de Vivès, par Philippe-Jean Catinchi, Les pirouettes de Brecht Evens, par Marion Dumand, La bande-dessinée indépendante dans les pays d'Ex-Yougoslavie, par Johanna Marcadé.