José Parrondo, où ?, Le Rouergue, 2012, 120 pages, 17€, EAN 9782812603433
Lui fournissant sa matière première, il apparaît comme un juste retour des choses que le bois puisse être mis en scène dans le livre imprimé. Bruno Heitz avait en son temps raconté l’histoire d’une branche coupée qui terminait sa destinée en bois sculpté (Petit bout de bois, 2007, Thierry Magnier).
C’est un autre maître de l’humour – mais pas le même – qui fait entrer de plain pied, à chaque page, son petit bonhomme de bois dans un album ici sans texte, ou presque. José Parrondo, qui nous avait habitué à la couleur et aux personnages bavards, fait ici un surprenant retour au Rouergue (mais il est vrai que le temps a passé, et tout comme les enfants, les artistes ne nous attendent pas pour grandir) avec un album crayonné au noir, suite d’images muettes, faisant déambuler de la gauche vers la droite, toujours, sa tête de bûche à la hache. Laquelle, aussi expressive qu’une tête de pioche, qui n’a d’yeux que les nœuds du bois, traverse, insubmersible, tous les obstacles qu’une main divine, telle celle d'un Osvaldo Cavandoli avec sa Linea, a placés sur son chemin. Le grain du papier, la texture de la mine, grasse, dont on craindrait presque qu’elle nous marque les doigts, produit cette impression d’une narration par l’image « en train » de s’écrire et de s’inventer, à la manière d’un « on dirait que » auquel se livrerait, facétieux, un dessinateur qui voudrait nous persuader de la réalité de sa création.
© José Parrondo, Le Rouergue, 2012
L’enchaînement des péripéties est ainsi réglé par la seule logique de l’absurde, du rebond d’idée ou du nez au vent. Et pourtant, comment ne pas percevoir un propos plus ambitieux que la stricte fantaisie, quand notre tête de bois passe du dehors au-dedans, du macro au micro, de l’endroit à l’envers, joue avec le feu, avec les feuilles devenues flammes, pour aboutir à un drôle d’arbre à malices… C’est que ce petit bonhomme de bois, expulsé du néant, entré dans le livre, vers la vie, par un souffle violent, avance résolument, contourne, saute, fuit, se défend, apprend et découvre, expérimente la singularité des points de vues, éprouve en lui-même une poétique visuelle qu’il serait bien vain de décrire. Superbe parcours de vie. Mais pas n’importe laquelle, de vie. Celle, finalement définie, de l’écriture légendaire de Parrondo, aussi scolaire que malhabile, aussi appliquée que joueuse :
© José Parrondo, Le Rouergue, 2012
Sérieux, densité. Au terme de cette aventure iconique, cette écriture-là, ces mots-là, superbes, placés en dernière page, émeuvent singulièrement le lecteur et l’invitent à reprendre, désormais chargé de sagesse, cette déambulation philosophico-poétique.
Commentaires
Voilà un livre que j'ai très envie de découvrir. Parfois toutes ces nouveautés dans tous les genres, en jeunesse comme en adultes, cela me donne le tournis...impossible de tout lire, de tout découvrir.
Un autre endroit...D'ailleurs...prenez-vous le temps de lire de l'adulte ? J'aimerai découvrir ce que lit SVDL chez les grands !!!
Un autre endroit...Merci de vos messages. Oui, l'importance de la production est vraiment difficile à gérer. Il faut beaucoup de temps pour repérer ce qui peut être intéressant, et surtout, apprécier en dehors de l'immédiateté. C'est en plus le problème de l'album, on a l'impression qu'un feuilletage rapide peut suffire à faire son choix. Il n'en est rien. Par expérience, les meilleurs albums, les grands chefs d'œuvre, m'ont toujours demandé un temps d'approche avant d'en mesurer toute la maîtrise et la portée. Dans la période c'est une difficulté pour "trouver son public" comme on dit. Mais c'est aussi une grande qualité que de savoir s'offrir à qui donne suffisamment d'attention, fait confiance. C'est exactement ce qui se passe avec cet album : on peut le feuilleter rapidement et donc ne rien comprendre. On peut aussi le lire page après page, y trouver quelque chose d'intéressant, qui se révèle dans le texte final et c'est finalement à la relecture qu'il fait tout à fait sens.
Quant aux lectures "adultes", c'est amusant, j'avais envie ce week-end de créer une rubrique "pour les très très grands", parce qu'effectivement, il y a des livres qui passent inaperçus et qui pourtant mériteraient d'être davantage commentés. Je pense à Skoda d'Olivier Sillig chez Buchet-Chastel ou Les Villes de la plaine de Diane Meur, chez Sabine Wespieser, deux grands oubliés de la rentrée littéraire de l'an passé. Côté Littératures graphiques, j'aimerais écrire sur Brecht Evens... Mais là, je dois avouer que cette question du temps devient un problème !
SVdLUne belle idée cette rubrique pour les très très grands...Ne la laissez pas s'échapper !
Un autre endroitJe n'ai pas lu les deux livres que vous citez...Je les note. Imaginez avec quelle difficulté je dois choisir des livres à la librairie avec un petit budget pour la bibliothèque. Je suis forcément obligée d'en laisser sur les étagères alors que j'aimerai les emmener tous. Et inversement, il m'arrive d'acheter des livres pour faire plaisir aux lecteurs alors que je ne les aime pas...les livres, pas les lecteurs !