couv_deacon.gif Alexis Deacon, Oiseau et Croco, Kaléidoscope, 2012, EAN 9782877677356, 13,50 €.

(titre original : Croc and bird, Random House, Londres, 2012, traduction d'Elisabeth Duval)


Tel David Wiesner, ou même Sebastian Meschenmoser, Alexis Deacon est de ces créateurs particulièrement talentueux qui restent étonnamment méconnus en France. Pourtant, son sens aigu de la narration par l'album et la virtuosité de son dessin nous offrent des ouvrages incontournables, que l'on songe à Loris Lent (Kaléidoscope, 2002) dans lequel la gestion du temps et du mouvement pourrait être modélisée ou à Bidou, (Kaléidoscope, 2003), racontant l'histoire décalée d'un petit extra-terrestre échoué sur terre. Le thème de la différence et de l'acceptation par les autres est au cœur de son travail. Comme de celui de bien des auteurs, d'ailleurs. Mais Alexis Deacon a une manière bien à lui de s'attaquer au "récit à thème". Ici, la réflexion qui sert de base est fort intéressante : les œufs de crocodile et d'oiseau sont de même taille et de même forme. Pourtant, ils donneront des animaux en tous points différents.

Ainsi naît la littérature : et si cette ressemblance rapprochait les animaux au point de les faire se sentir frères ? Voici donc deux œufs identiques, côte à côte sur le sable, couverts par un remarquable ciel étoilé. Les dialogues, resserrés, interpellent, précisément, par leur sens de l'ellipse : « Un oiseau... et un crocodile. "Salut, p'tit frère", dit Oiseau. "J'ai faim", dit Crocodile ». La rencontre et l'affection mutuelle que se porteront les deux animaux est narrée, crescendo, par l'usage de vignettes successives, puis par d'amples images à fond perdu sur l'espace de la double page. Ici et là, l'usage d'onomatopées et de bulles achève la complétude du dispositif.

 

deacon_plage.jpg © Alexis Deacon, 2012

 

Les tracés, amples et souples, ont ce grain si particulier au créateur, qui leur donne énormément de douceur, laquelle se trouve, avec un grand sens plastique, mise en tension par la vivacité des couleurs. Les ciels, les vues aériennes sur la jungle (l'album serait né des carnets foisonnants d'un voyage au Galapagos) impressionnent, mais certainement pas autant que l'improbable affection qui unit ces deux animaux. Car, si le suspense dramatique et l'humour se contrebalancent sans cesse tout au long de l'ouvrage, c'est bien la tendresse qui s'impose dans un émouvant finale qui clôt un album remarquable.

 

deacon_finale.jpg© Alexis Deacon, 2012


À signaler, Alexis Deacon a signé le texte de Bien mieux qu'une maison, dessiné par Virginie Schwartz, un album analysé par Aude Lemoine dans le dernier numéro de la revue Hors-Cadre[s].