Michel Galvin, Le Grand trou américain, éditions du Rouergue, 2012, EAN 9782812603082, 15,70 €
D’abord était le noir. Le noir charbonneux d’illustrations de presse (pour Libération ou Télérama notamment), le noir en traits de Routine (Thierry Magnier, 2007), « l’abîme sans fond » de L’Etroit cavalier (Seuil Jeunesse 2006), l'« espèce de grosse pelote noire bizarre, immobile, silencieuse mais ô combien encombrante ! » de C'est un monde ! (Seuil Jeunesse, 2009)... Et là, ce grand trou noir qui absorbe puis multiplie déraisonnablement. Et des américains qui trouvent des solutions prodigieuses à tout. Et leur police, leur armée, leurs grosses voitures, leurs tapis rouges et leurs pelouses. Le design, l'architecture et la consommation des années 60.
Et la SF. Le trou noir comme obsession des séries SF américaines. À quelques jours de la disparition de Jean Giraud, créateur de L’Incal, on s’aperçoit que Michel Galvin a cette propension à dessiner des narrations en cycles, revenant toujours, mais transformées, au point de départ. Des rubans de Moebius (1), donc. Dans l’espace, dans le temps, une étrangeté sourd, transforme tout, sans que l’on sache exactement quoi.
Le grand trou américain ravive ce frisson, ce vertige de l’enfant qui découvre les failles spatio-temporelles, la logique incohérente, la possibilité d’un surgissement de l’irrationnel, d’un glissement de Tout dans l’Autre ou l’Ailleurs.
Michel Galvin, Le Grand trou américain, © éditions du Rouergue, 2012
Une lumière blanche, irradiante, en tension avec le trou noir, qui écrase les silhouettes menues des humains, qui évoluent sur ces espaces improbables, vides. La précision des motifs décoratifs et les formes floues, dont ne subsiste que la trace diffuse de la couleur, noire le plus souvent. Rigidité des bâtiments vs burlesque des personnages… Les images s’imposent avec force au travers de ces contrastes maximaux tandis que la narration avance, s’invente, se commente en même temps qu’elle se déroule, sans que l’on sache qui parle et surtout… d’où ?
Il y a plus d'un siècle et demi, le docteur Hoffmann, en inventant l’album jeunesse avec son Struwwelpeter, déclarait :
« La stricte raison ne peut émouvoir une âme d’enfant mais la fait dépérir misérablement ».
Aujourd’hui, Michel Galvin nourrit l’imaginaire des enfants. D’une manière insensée.
(1) Moebius est le pseudonyme de Jean Giraud pris pour signer ses BD de SF, hommage au mathématicien Möbius qui modélisa ce ruban à une face.