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Jérémie Moreau, La chambre de Warren, Albin Michel Jeunesse, collection "Ronces", mars 2023, 18€

Compositions amples à la Walter Crane des Baby’s opera, proximité des enfants avec le monde végétal et animal à la Elsa Beskow, pour son premier album jeunesse, Jérémie Moreau, bédéaste à l’œuvre forte et singulière, semble nourri de références, en tout cas s’inscrire dans une histoire de l’illustration jeunesse. Mais peut-être est-ce juste la transformation de son trait de type ligne claire, utilisé dans sa dernière bande dessinée, Les Pizzlys (Delcourt, 2022), qui devient plus rond, doux et ouaté, pour s’adresser à la petite enfance.

IMG_3121.jpg Gardes © Albin Michel Jeunesse, 2023

Dans ces illustrations généreuses à l’aquarelle et au feutre, le fluo orange, intégré comme une couleur à part entière, apporte un contrepoint tonique, notamment à ces figures d’animaux à l’indéniable tendresse. Des adultes légèrement dysmorphiques à la Ghibli, un pré-générique et un titre de fin tout cinématographiques ainsi que des mises en pages inventives empêchent de confondre cet album avec une tradition qu’il renouvelle esthétiquement comme littérairement.

IMG_3123.jpg © Albin Michel Jeunesse, 2023

Car au foisonnement de livres pour enfants sur l’environnement qui, à quelques exceptions près (dont celles de quelques illustratrices suédoises), reproduisent les schémas convenus des historiettes morales entendant montrer des comportements modèles, Jérémie Moreau fait entrer ses lecteurs dans une véritable « écologie du récit » selon la conception de Jean-Christophe Cavallin, auquel il rend hommage.

Grand lecteur de l’anthropologie, de Philippe Descola ou Nastassja Martin, de la philosophie de Bruno Latour, Jérémie Moreau insuffle en effet à la littérature jeunesse des modèles intellectuels qui étaient jusqu’alors restés à ses portes. Son récit est ainsi marqué par des figures fortes décrites par les ethnologues : les rêves, l’animisme, les transes, la force de la cellule familiale, lui donnent une profondeur et une densité qui révèlent un autre rapport au monde. Il en résulte des schèmes neufs, quant aux rapports entre humains et animaux par exemple. Si la littérature jeunesse est riche d’une tradition de personnages anthropomorphes, ou d’amitiés entre enfants et animaux, ici la dialectique entre continuité et discontinuité des espèces est finement réinterrogée par les notions d’entraides et de collectif.

IMG_3122.jpg © Albin Michel Jeunesse, 2023

Et l’auteur-illustrateur n’oublie pas non plus les contes et les mythes, en particulier celui du Dieu Pan, placé au cœur de sa narration, qui lui permet de déployer une symbolique qui donne corps à l’angoisse de l’effondrement climatique tout en lui ouvrant une salutaire perspective par une pensée nouvelle du vivant, figurée comme un collectif résilient, solidaire et fondateur, quelque part entre Noé, Babel... et Warren, donc.

IMG_3124.jpg Dernière de couverture, détail © Albin Michel Jeunesse, 2023

La chambre de Warren inaugure une collection chez Albin Michel Jeunesse, dirigée par Jérémie Moreau qui porte l’astucieux nom de « Ronces » et entend donner envie aux enfants de se projeter dans leur imaginaire en tant que « terrestres ».