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Nastasia Rugani, Je serai vivante, Gallimard, Scripto, mai 2021

Nastasia Rugani ne manque pas de cran. Pour son premier roman, Tous les héros s’appellent Phénix (L’École des loisirs, Médium) elle s’insinuait dans un huis-clos familial dominé par une emprise. Le deuxième, Milly Vodovic (MeMo, Polynies), mettait en scène un tragédie dans une Amérique raciste. Je serai vivante, qui vient de paraître chez Gallimard Jeunesse (Scripto), est le soliloque d’une jeune fille lors d’un dépôt de plainte pour viol. Pourtant, aucun de ces trois textes ne peut tenir dans une thématique. Aucun n’y est réductible. Car ici, seule compte la puissance de l’écriture. Et dans le dernier titre, le souffle est puissant. Celui du lecteur s’en trouve lui, comme coupé, comme suspendu, tendu jusqu’au terme d’une narration qui n’use d’aucun suspense, uniquement de la simplicité dépouillée d’une voix déchirante pour tenter de dire « l’être violé », selon les mots de l’auteure.

Et cette voix, n’est nulle autre que celle de la littérature : un travail de la langue dans son épaisseur organique, dans son rythme, dans les images qu’elle produit à foison. Le texte d’une centaine de pages est un concentré poétique, épais, rugueux, méandreux qui fouisse les paradoxes, les douleurs, le corps et cerne le viol dans la singularité d’une situation, de personnalités, d’un lieu, fut-il celui horriblement doucereux d’un cerisier sous un ciel d’Avril. Et cette écriture belle et déchirante est dès lors précisément la condition unique pour tenter de dire l’indicible.

Et de dire, aussi, un chemin possible. « Alors, un jour peut-être, la pluie ne sera que ce qu’elle est, phénomène et précipitations de nuages. Les garçons aux bourrelets généreux redeviendront des hasards de joie. C’est la possibilité d’être moi qui m’attend à l’extérieur de l’enclos." C’est que le titre, affirmatif, s’écrit au futur.