Jessica Love, Julian est une sirène, Pastel, juin 2020, 13 €
Premier album d’une jeune créatrice américaine, Jessica Love, Julian est une sirène décontenance d’abord par sa maturité : le dessin souple, figurant des humains remarquablement expressifs, les compositions fluides, le sens de la couleur avec ses teintes vives sur fond chaud, l’usage concis d’un texte juste, le déploiement de métaphores visuelles, le jeu narratif des pages de garde, tout est remarquablement maîtrisé dans cet album lauréat du prix Opera Prima de la Foire du livre de Bologne (2018), entre de nombreux autres.
Mais la réussite de la jeune illustratrice est encore ailleurs. Alors que l’édition jeunesse nous gratifie régulièrement de livres didactiques ou démonstratifs sur la question du genre, ici, au travers d’une délicate histoire sur l’identité et l'acceptation, c’est un tranquille éloge du queer qui est suggéré par l’histoire ample et sensible de ce petit garçon qui, adorant les sirènes, est accompagné par la sagesse et la bienveillance de sa grand-mère dans la réalisation de ses rêves chatoyants de parades aquatiques, le livre s'achevant sur leur participation à la fameuse Mermaid Parade de Coney Island.
Que Julian ait la peau brune n’est pas un sujet, sauf pour tous les petits lecteurs français à peau brune qui auront la rare opportunité de lire un livre avec un personnage qui leur ressemble. Paradoxe, c’est d’outre-Atlantique que nous parvient cet album, car les États-Unis, actuellement secoués par une contestation antiraciste d'envergure, ont aussi su développer depuis des décennies – d’Ezra Jack Keats à Christian Robinson – des albums grand public qui mettent en scène des enfants noirs pour ce qu’ils sont, à savoir, des enfants, tout simplement. Jessica Love, distinguée pour cet album par la Ezra Jack Keats Fundation s’inscrit résolument dans cette lignée et fait naître un héros enfantin, singulier, attachant et sensible dont on ne peut que guetter une nouvelle aventure, déjà annoncée…