une_nuitdete_couv_600.jpg Margaux Othats, Une nuit d’été, Magnani, mars 2019, 24 euros.

Le ciel derrière la montagne, rose et bleu, se reflète en miroir dans le lac sur les premières gardes. Du crépuscule à l’aube, ce paysage traverse le livre dans de multiples variations. Sans se cantonner au décor, il n’en devient pas plus un personnage. Une présence plutôt, massive, ou impressive.

34_1000.jpg © Magnani, 2019

Ils sont cinq, de cette jeunesse précoce, agitée et inquiète, à venir l’habiter, dans les pages séparant la couverture de la page de titre effroyablement blanche et vaste, dans cet écart creusé où s’insère ce qui ressemble à un pré-générique. Car ce livre est aussi un film. Où il y aurait du Atom Egoyan, et du Fabrice Gobert, peut-être aussi du Jane Campion ou du Alain Guiraudie, enfin tout ce que cet album évocateur peut convoquer de subjectif chez son lecteur-spectateur.

Sans un mot, le récit s’insinue dans les aspérités d’un drame humain – la disparition de l’un des jeunes – tout en sachant garder en ellipse, en creux, ses insupportables évidences, ses insondables mystères. De ces ados si démonstratifs dans leurs jeux, dans leurs joutes, de rares pauses, tête lourde, bras ballants, laissent apparaître furtivement leur vulnérabilité à une émotion trop vaste et trop cruelle. À côté d’eux –plus qu’à leurs côtés – des adultes affairés, des gestes professionnels, qui ne suffisent pas à masquer des fêlures, des brèches intimes que laissent sourdre de minces détails. À la manière de l’artiste illustratrice d’avant-garde Esphyr Slobodkina, aucun visage n’est dessiné dans ce récit par trop humain.

05_1340_c.jpg © Magnani, 2019

Dans le langage séquentiel qui se substitue au langage verbal, la forme des vignettes, leur occupation sur la page, les blancs qui les espacent, tout a son importance. Et lorsqu’un ultime appel téléphonique n’aboutit pas, Margaux Othats fait alors naître le silence du silence par une suite majestueuse de pages, dont la dernière est tout autant un prolongement qu’une anticipation.

C’est par la forêt que le récit échappe au genre policier, en s’approchant de celui, archaïque et cruel, des contes et de ses enfants perdus dans son immensité. Les troncs noirs et les rythmes cassés qu’ils découpent sur un ciel et un sol changeant sont d’une puissance graphique rare qui suffirait à rendre ce livre inoubliable.

Car finalement, ici, tout n’est que formes, textures et couleurs. Lumières. Atmosphères. Repliant l’humain sur son humble condition de passager.