Grande_foret_CV.jpg Anne Brouillard, La Grande Forêt. Le Pays des Chintiens, Pastel, septembre 2016, 18 €

Il y a une dizaine d'années, alors qu'elle s'apprêtait à partir pour un long voyage en Chine, Anne Brouillard m'avait confié qu'elle comptait sur ce périple pour réaliser un projet qui lui tenait profondément à cœur, un projet venu de son enfance, celui d'un lieu imaginaire qu'elle et ses sœurs avaient en partage secret : "Chintia". Quelques semaines plus tard, une carte postale, laconique, m'informait que, la Chine n'étant pas le pays tranquille tant convoité, le voyage serait écourté. Depuis, rien ne fut plus pareil.

Il aura donc fallu tout ce temps, à la créatrice belge, pour faire aboutir ce projet ancré dans les tréfonds de son enfance et de son imaginaire. Le résultat est là ; un album inédit, conjuguant illustration et bande-dessinée, narration et documentation, une œuvre somme, une œuvre phare, aussi bien pour elle-même – sa densité – que pour son rapport aux titres précédents de l'auteur.

Pages_16_Grande_fore_t_cadre_.jpg © L'école des loisirs, 2016

À la manière d'un livre de Moumine, dont le chien Killiok pourrait être un noir cousin, le livre s'ouvre sur une carte, ou plutôt un planisphère des différents pays qui composent "Chintia". Suivra rapidement la carte de l'un de ces pays, celui du lac tranquille. Dans ce pays, on y trouve, comme dans tous les livres de la créatrice, des arbres – énormément –, des lacs, des cabanes au cœur des arbres et des lacs, des bouilloires fumantes, des cadres au mur, de vastes demeures mais aussi des maisons à pièce et étage unique, des tas de personnages déjà rencontrés comme le chat Mystère (de l'album éponyme publié en 1998 lors d'une première collaboration avec Pastel), une gare comme un refuge dans la nuit, et, forcément, un voyage en train, entre autres nombreuses choses qui viennent renforcer l'attachement des lecteurs à l'univers de l'auteur. On y trouve aussi ce qu'on avait peu ou pas rencontré préalablement, comme autant de pas de côtés et d'ouvertures à de nouveaux motifs narratifs : des inscriptions sur pierre, des moulinettes pour un festival de vol, une exploratrice avec une valise, des Bébés Mousse, une machine à capter des messages, des dessins en légendes...

Pages_40-41_Grande_fore_t_cadre_.jpg © L'école des loisirs, 2016

À la fin du volume, une double page révèle l'ensemble des lieux dans lesquels s'est déroulée l'aventure, en un procédé cher à l'illustratrice. Offrant une soudaine contextualisation à portée philosophique, cette vue donne à comprendre à quel point cet album est un livre total, le lieu d'un imaginaire plein et entier dans lequel se projeter, nouer un amour des arbres, des livres, des voyages et des gens, un lieu grâce auquel on devient attentif aux atmosphères et aux lumières, un livre comme un nid à partir duquel on peut rêver encore plus loin. Car la dernière garde reprenant le planisphère ouvre encore le champ des possibles en révélant finalement qu'un seul pays a été visité dans ce pourtant très dense opus. Synthèse de l'œuvre globale de la créatrice, La Grande Forêt approfondit encore la cohérence de l'univers si personnel d'Anne Brouillard. Une cohérence qui est la marque infaillible des très grands auteurs. Et des très grandes œuvres.

grande-fore_t-image-16.jpg © L'école des loisirs, 2016