MarthaCOUV1.jpg
Atak, Les Oiseaux de passage, Les Fourmis rouges, juin 2016, 18,90 €

Ouvrir un livre de l'artiste ATAK n'est jamais un acte anodin, plutôt une plongée abrupte dans un univers éminemment singulier, aussi piquant que gracieux, naïf et violent, tellement léger et pourtant, profondément étrange et inquiétant. Oscillant entre peinture folklorique et esthétique punk, le style de l'artiste est reconnaissable entre tous, d'une extrême cohérence, très marqué, sans que jamais on ne se lasse de ses images saturées, palimpsestes surchargés de matières et de motifs, parmi lesquels on retrouve avec joie des récurrences devenues familières, comme cette espèce de Teddy Bear en marche, traversant chacun de ses livres, si ce n'est chacune de ses pages, ou encore Tintin, Mickey, le voyageur de Friedrich, un Chipmunk... Et la mélancolie suinte chaque fois de ces images tableaux dont l'extraordinaire travail chromatique réussit malgré tout à insuffler énergie et dynamisme.

ATAK_Martha_260416-dp_-5.jpg
© Les Fourmis rouges

Dans cet univers d'artiste, on le voit, avant tout marqué par ses ambivalences, le récit de la disparition d'une espèce, celle des pigeons migrateurs aux États-Unis au début du XXème siècle, qui accompagne autant qu'elle symbolise l'émergence de l'ère industrielle, se teinte tout à la fois de nostalgie et de vitalité. Récit âpre, poétique, sans concession, de la violence des hommes envers la nature – toujours aussi merveilleusement dépeinte par Atak – l'album recèle une force et une émotion qui tiennent à la fois du contenu et de l'expression, de la réalité à laquelle il renvoie – y compris dans ses échos contemporains alors que les logiques industrielles d'exploitation animales n'ont de cesse d'être dénoncées – avec des références évidentes vers lesquelles on peut approfondir la question, par exemple en explorant l'œuvre du naturaliste Audubon, mais toujours dans le cadre somptueux d'une expression artistique prégnante, qui rappelle son statut par la multiplication des mises en abymes, la trace du peintre partout apparente, et ce dès ces pages de garde aux motifs géométriques répétitifs et pourtant tous singuliers, la référence constante à la dimension fictionnelle du livre, tel ce contre-point d'une galerie de personnages fictifs en illustration du texte "C'est un monde fait seulement d'humains". Audacieuses résonances.

ATAK_Martha_260416-dp_-13.jpg
© Les Fourmis rouges

Dès lors, tous ceux qui pensent pouvoir préserver les enfants d'une confrontation avec le réel passeront leur chemin. Les autres ne feront en aucun cas manquer aux jeunes lecteurs cette occasion, rare, d'une rencontre fructueuse avec une œuvre artistique des plus marquantes.


***

Regardez les passer, eux / Ce sont les sauvages / Ils vont où leur désir / Le veut par dessus monts / Et bois, et mers, et vents / Et loin des esclavages / L'air qu'ils boivent / Ferait éclater vos poumons / Georges Brassens, Les Oiseaux de passage.