jan-claudine-desmarteau-thierry-magnier.png Claudine Desmarteau, Jan, éditions Thierry Magnier, avril 2016, 14,50 €.

En 2000, Claudine Desmarteau signait l'un des albums pour la jeunesse les plus impertinents de son histoire : C'est écrit là-haut (Seuil). Avec son style graphique si personnel, rugueux et sans complaisance, la dessinatrice mettait en scène un jeune garçon aux prises avec sa famille, entre hérédité éthylique, entendement limite et violence arbitraire. À la noirceur de la peinture sociale, rare dans l'album, s'opposait l'humour et la caricature faisant s'épanouir le libre-arbitre de son jeune narrateur, Jacques.

Jan, héroïne du dernier roman de Claudine Desmarteau est issue de la même lignée. Au texte illustré succède la seule verve truculente d'une enfant de onze ans libre et sauvage, qui rend coup pour coup et utilise systématiquement à son endroit des qualificatifs masculins – "ça me rend fou" aime-t-elle à dire. Le contexte familial est le même – père alcoolique, mère insuffisante et dureté de la société envers les écorchés épris de liberté – tout comme la bienveillance et l'infaillible espoir que l'auteur place en ses jeunes personnages, parmi lesquels Jan n'est pas des moindres, loin s'en faut.

Désespérance et violence sociale, le tableau pourrait être attendu dans un roman pour la jeunesse, si l'auteur ne parvenait à une peinture remarquablement juste de la société française, par exemple dans cette séquence marquante lors de laquelle ses jeunes héros errent dans une banlieue cossue, à la fois sourdement attirés par ces territoires idylliques, aux jardins comme des parcs comptant des "arbres de plusieurs races", et diablement lucides, perçant en quelques observations crues toute la vacuité et l'ennui des lisières bourgeoises.

À l'incipit fracassant "Je suis pas le genre de personne qu'il faut chercher avec des noises", succède à l'envi une prose à la première personne contaminée par une langue heurtée et bravache. Pourtant, de ce registre verbal crapuleux, sourdent des instants de grâce, mus par l'intelligence et la sensibilité de la narratrice. L'écriture est drôle, rythmée, insolente et lyrique. Poignante. Comme en ce moment crucial où l'héroïne étant proche de se faire arrêter, s'ouvre en une parenthèse, ou plutôt, une suspension, un court chapitre dédié à l'amour fraternel, tendre et percutant.

La seule issue est le mouvement, du verbe et des personnages, qui s'achève sur celui, perpétuel, de la mer, en un finale à la fois préparé par la référence filée aux 400 coups (François Truffaut) et profondément audacieux, stoppant net la progression d'une course poursuite dont l'issue est alors reportée. Pourtant, le lecteur n'a aucun doute sur l'avenir qui attend Jan, dont les petits poings serrés dès la naissance ne sont pas prêt de mollir.