9782226318411-j.jpg Adrien Parlange, L'Enfant chasseur, Albin Michel Jeunesse, octobre 2015, 15,90 €

Tenez cet album en main, et feuilletez-le. Vous ressentez quelque chose de rare. De très rare ; la sensation de tenir un livre parfait. Tout fait sens, tout s'accorde : le format subtilement atypique, la semi-rigidité de la couverture et l'épaisseur du cahier; le choix du papier, d'une élégante couleur ivoire, et l'impression en deux teintes, dont l'une offre de discrets reflets cuivrés ; les caractères typographiques créés par Adrien Parlange et les formes épurées, gracieuses, de ses images ; le contraste entre le papier brut et le transparent lisse que l'on positionne sur les figures imprimées pour leur apporter une puis deux couleurs, convoquant une forme nouvelle puis deux par effet de transparence... Auteur et éditeur ont nécessairement étroitement collaboré pour créer cet ouvrage dans l'excellence d'une fabrication pourtant non ostentatoire. Car cette forme, à l'évidence, n'est là que pour servir un projet de création dans lequel tout fait extraordinairement sens : le support, donc, puis le texte et l'image.

Le texte d'abord. Faites l'expérience, lisez à haute voix les premières lignes de ce récit, et vous convoquerez aussitôt un ton que vous reconnaissez pour l'avoir découvert avec La Chambre du lion. Là encore, il faut parler de rareté, lorsqu'un auteur parvient, dès son deuxième album narratif, à se faire reconnaître par son style littéraire. Adrien Parlange a trouvé sa langue, définie par un rythme et un sens aigu de la phrase et de sa ponctuation, un usage précieux des articles définis et un maniement expert des incises.

DSC02399.JPG

 © Albin Michel Jeunesse, 2015. Prise de vue SVdL 

L'image elle se présente en deux temps : d'abord en blanc, vert et cuivre, pour des éléments de décors évoquant les papiers découpés de Matisse, auxquels se superpose, par le biais d'un film, la forme rose d'un camée. Voyez comme la transparence fait apparaître de nouvelles formes brunes en accord avec le texte. Voilà comment faire progresser l'idée originale d'un Bruno Munari dont on se plaît à imaginer qu'il aurait approuvé cette audacieuse déclinaison de ses principes créatifs.

Et maintenant, vous oubliez le texte, l'image ou le support et vous lisez, tout simplement.

Vous êtes cueillis par cette narration qui progresse par paliers et pénètre à chaque double page plus avant la nature, en quête de l'enfant chasseur, un enfant sauvage et solitaire qui fascine un garçon, bercé par l'affection et l'attention de sa mère, et vivant dans une maison aux abords de la forêt. L'économie de moyen suscite une stupéfiante force suggestive et ouvre grands les portes de l'interprétation. Comme pour La Chambre du lion, il est question d'attente, d'espoir, de peur secrètes, de frisson de l'inconnu, lesquels sont toujours posés à hauteur d'enfant, d'autant que c'est le portrait du garçon qui est imprimé sur le transparent.

Alors, vous refermez le livre, le tenez à nouveau en main. Et vous vous dites que cette fabrication parfaite ne semble là que pour adoucir, par son élégance et sa pureté, le propos, pour renforcer cette intimité du livre qui glisse à l'oreille de l'enfant lecteur : non, tu n'es pas seul.