jardin_atak.jpgATAK, Dans un jardin, ed. Thierry Magnier, mai 2015, 36 pages cartonnées, 25 €

Le vaste et lourd objet, fait de pages cartonnées emplies de rabats, la gamme chromatique, dont l'adjectif "chatoyante" ne serait qu'un pâle euphémisme, ainsi que les citations en exergue qui célèbrent – presque – sans arrière-pensée le bonheur d'un lieu paisible ; tout invite, dans cet album hors-norme, à la contemplation. Simple ôde au jardin, et à cet espace de repos ou de méditation ? Les fans d'ATAK, se délectant habituellement de l'inquiétante étrangeté qui sourd d'images rugueuses, de la collusion inédite de l'ornemental et du punk, du creuset foisonnant de références éclectiques, seront peut-être déçus.

Si l'on retrouve, subtilement cachés par des rabats sophistiqués, des animaux sauvages, ou des figures de l'imagerie de masse, il est vrai qu'elles sont tout au plus surprenantes et jamais provocantes. Les références chères à ATAK sont bien là, des plus triviales (les chipmunks) aux plus classiques (Le Déjeuner sur l'herbe), mais leur décalage, en ce décor, n'est pas si radical. En d'autres termes, Félix le chat s'est empâté, mais il ne traîne plus benoîtement un clope au bec.

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 © ATAK 


On fera pourtant valoir que le livre transpire de sincérité. Exploration méthodique et sublime de la lumière, art des métamorphoses visuelles, regard poétique — sur l'herbe ravagée sous les balançoires — la célébration du jardin comme espace et lieu de sérénité semble ici absolument authentique. On y trouve moins de provocation, certes. Mais dans l'ampleur du format, et donc des vastes peintures à fond perdu, s'épanouit une esthétique magnifiée...

Dès lors, c'est moins dans la rupture, ou dans le décalage, que s'opère la marque de la singularité créatrice, plutôt à fouiller dans sa profondeur et sa densité même... De ces images palimpsestes (ATAK peint par couches d'images successives), exsude un foisonnement de feuillages qui est aussi un foisonnement de présages.

Il y a là tant de plantes, de grandes herbes ensauvagées, de fleurs grasses et touffues, vivaces et drues, de fruits suintants, que l'opulence tient elle-même lieu de discours. On pense alors à la jungle électrique d'Hervé Di Rosa, ou encore aux jardins mexicains de Malcolm Lowry, dont la luxuriance abrite toujours la menace et la décadence ...

Sans rébellion, certes, et même avec une forme de sagesse, ATAK rappelle surtout magnifiquement la dimension culturelle et universelle de ce lieu ancestral, espace incertain et instable, vibrant, entre domestication et puissance sauvage.