couv-pinocchio.jpg Les Aventures de Pinocchio de Carlo Collodi vues par Lorenzo Mattotti, Hélium, 2012, 30 €, EAN 9782330012359


C'est à Jacques Binsztok que l'on doit – parmi les nombreux talents repérés très tôt par cet éditeur incontournable – le premier Pinocchio illustré par Lorenzo Mattotti, en 1990, chez Albin Michel, soit 3 ans avant Eugenio, premier livre pour enfants de l'illustrateur italien publié en France. Y éclatait une nouvelle lecture du texte de Collodi, dont l'inédite gamme chromatique et la rugosité du pastel imposait tout à la fois sa profonde singularité dans la somme des contributions iconographiques au Pinocchio de Collodi et guidait le lecteur vers des méandres du texte initial rarement mis en valeur, faisant la part belle à la subjectivité du jeune pantin de bois.

 

pinocchio-mattotti-1990.jpg © Lorenzo Mattotti, 1990

 

Douze ans après cette première publication, et après, aussi, plusieurs années de croquis et de dessins amassés dans ses carnets, Lorenzo Mattotti revisite une nouvelle fois un texte dont il faut bien avouer qu'il s'impose comme un passage obligé pour tout illustrateur, italien, qui se respecte et dont l'un des plus grands, Roberto Innocenti, a donné une version inoubliable. C'est donc une œuvre augmentée qui se présente ici – puisque de nombreuses peintures à l'encre de chine (voir son Hansel et Gretel chez Gallimard Jeunesse) ainsi que des croquis au crayon noir ou en couleurs ont été adjoints aux illustrations initiales publiées en 1990 – ayant d'abord comme intérêt premier d'offrir un regard sur le travail de création même de l'illustrateur. C'est pourtant une œuvre accomplie tant elle offre une nouvelle vision sans commune mesure avec le premier livre illustré. Mais c'est aussi et surtout une œuvre en devenir, tant elle travaille le déséquilibre, assume l'ébauche, ou affirme la multiplicité des choix d'illustration pour une même scène.

 

pinocchio-mattotti-2012-2.jpg © Lorenzo Mattotti, Hélium, 2012


C'est sans aucun doute dans cette multiplicité même que réside toute la réussite de cette nouvelle version. Proposé avec la nouvelle traduction de Nicolas Cazelles (pour Actes Sud en 1995), dont a bien été souligné à quel point elle mettait comme nulle autre en valeur les nuances du texte de Collodi, ce travail renouvelé de Lorenzo Mattotti, dans ses dédoublements d'images, répétitions de scènes transmuées dans les différentes techniques, offre cet espace à l'interprétation, par le déséquilibre ou le "jeu" (au sens mécanique du terme) créé. Il ouvre une faille féconde qui s'engouffre dans les allusions ou ellipses du récit de Carlo Collodi. À l'instabilité du personnage s'oppose ainsi une instabilité fructueuse de l'interprétation se démarquant comme l'une des plus remarquables et des plus stimulantes versions de Pinocchio.

Nul n'est besoin de s'étendre plus ici, tant l'entretien en préface d'Emilio Varra et Lorenzo Mattotti est éclairant sur la démarche du maître italien, que ce dernier s'exprime sur son positionnement vis-à-vis des versions antérieures, de ses références, sur son intérêt fort pour la métaphysique ou encore sur sa compréhension fine de l'œuvre de Collodi.