p10-11_zoom_svdl_dans_la_veranda_couv.jpg Béatrice Poncelet, Dans la véranda, L’Art à la page, 2012.

Béatrice Poncelet n’a jamais fait le choix de la facilité, c’est bien le moins qu’on puisse dire. Celle qui décide du moindre millimètre carré de l’espace total du livre, qui en suit avec pugnacité chaque étape de la fabrication, s’éloigne encore un peu plus des sentiers rebattus en publiant cette fois, pour les éditions de la galerie L’Art à la page créée par Marie-Thérèse Devèze, un album résolument pour adultes. Après avoir, dans ses précédents ouvrages, annoncé et suivi l’arrivée d’une enfant, l’avoir littéralement et magnifiquement accompagnée dans ses premiers pas et ses premiers mots, la voix narrative à la première personne qui emplit chacun ou presque de ces livres devait s’offrir une pause, souffler quelques instants.

C’est précisément le sujet de ce dernier ouvrage, d’une forme nouvelle (pagination augmentée, texte plus important, sans que l’on soit pour autant dans un livre illustré) : la narratrice annonce qu’elle souhaite s’offrir, dans la véranda, donc, selon le titre éponyme, quelques instants de tranquillité, pour lire et laisser vagabonder l’imagination. Dans cet espace particulier, aussi bien fermé qu’ouvert, communiquant tout à la fois avec l’intérieur et l’extérieur, seule mais environnée d’autres, la narratrice se maintient sur le seuil de la maison comme au seuil de ses lectures et de ses réflexions. Un roman policier restera d’ailleurs un long moment ouvert à la même page.

Encore une fois, la vision subjective qui correspond à cette narration est impressionnante. Dans un exercice technique virtuose – Béatrice Poncelet reproduit tout à la main : pages de livres, photographies, etc –, qui bouleverse par sa justesse dans la figuration vibrante, des ombres – et c’est là l’autre sujet, graphique cette fois, de l’album – jouant avec la lumière dorée d’une fin de journée estivale, chaque page donne à voir au lecteur non seulement ce que pourrait voir sa narratrice mais, plus encore, offre une traduction visuelle de son environnement et de ses perceptions. Ainsi les sons, les paroles, les images, flottent-ils en suspension sur la page, se croisant, se superposant, allant jusqu’à se masquer les uns les autres.

L’ensemble est bel et bien orchestré, l’enchaînement des pages n’étant qu’un rythme dont on voudrait pouvoir tirer une partition comme le schéma premier de l’oeuvre. Chaque texte s’impose alors en soliste, chaque fond donne la tonalité de l’orchestration, les voix se mêlent et recomposent à l’envi le thème si singulier de ce qui n’est plus simplement un livre ou un album, mais ce qui est devenu par la magie activée de notre lecture passionnée : un ensemble, un tout, une œuvre. Des plus remarquables.


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Ce texte est un extrait d'un article à paraître dans la prochaine édition de la revue Hors-Cadre[s], laquelle, pour fêter son dixième numéro, offre 16 zooms sur des albums (illustration, jeunesse, bande dessinée) parus depuis la création de la revue en 2007, choisis comme des albums aussi marquants que remarquables par les contributeurs réguliers de la revue. Anne Herbauts nous a fait l'honneur d'une couverture originale et a répondu à nos questions sur son rapport à la critique. Un sujet sur lequel s'expriment également Anne Brouillard, Juliette Binet, Beatrice Alemagne, Antoine Guilloppé et Renaud Perrin. À paraître en mars 2012, je ne manquerai pas de vous tenir informés.