P'tit Bonhomme, le personnage créé par le conteur Pierre Delye change d'apparence au fil de ses aventures, se trouvant figuré par trois illustratrices différentes (Cécile Hudrisier pour La Grosse faim de P'tit bonhomme, Martine Bourre pour Le P'tit Bonhomme des bois et Irène Bonacina pour ce dernier album). S'il est un malgré tout, c'est par la force des mots de son créateur, une verve reconnaissable entre toutes, qui court-circuite toute habitude de lecture plate et monocorde et incite inévitablement le lecteur à voix haute à tendre, puis à tordre, le bas de sa mâchoire, pour tenter de donner corps à cette langue bien truculente faite de syncopes. C'est donc son nom même qui fait le caractère premier de ce personnage.

 

ladroledemaladie_couv_large.png Pierre Delye, illustrations de Irène Bonacina, La Drôle de maladie de P'tit Bonhomme, Didier Jeunesse, 12,50 €

P'tit Bonhomme, c'est aussi un personnage véloce, naïf et pugnace. Il impulse donc des récits au rythme effréné – chaque double page convoquant une nouvelle séquence narrative – dans lesquels la répétition joue un rôle moteur en procédant par accumulation. Ici P'tit Bonhomme, se demande bien ce qui lui arrive "J'ai le ventre tout serré, le cœur qui yoyotte et les genoux qui tremblotent...". Au fur et à mesure de sa quête d'une réponse, le mal augmente à chaque rencontre "... la tête à l'envers, et je ne sais plus si j'ai envie de rire, de pleurer ou les deux en même temps". Le diagnostique de cette "drôle de maladie" tombe à l'issue d'un face à face inénarrable fait d'onomatopées monosyllabiques : c'est que P'tit Bonhomme et P'tite Bonnefemme sont "tombés en amour".

Les jeux typographiques chers à l'éditeur Didier Jeunesse soutiennent l'oralité et donnent toute son ampleur à l'humour du texte qui multiplie les formules réjouissantes du conteur, ainsi, lorsque P'tit Bonhomme entre en trombe dans la maison et pousse "si fort la porte de devant qu'il manque de la transformer en porte de derrière", ou – quasi philosophique – lorsqu'il passe devant l'Abribus "là où les plus grands regardent passer le temps qu'ils ont à perdre".

ladroledemaladie_double1.jpg © Didier Jeunesse 2012

Irène Bonacina épouse à merveille l'univers de Pierre Delye grâce à des dessins vifs, nerveux, ne se contentant pas de poser des images face au texte mais orchestrant une mise en page à l'unisson du rythme du récit, multipliant quand c'est nécessaire les images séquentielles, les indices graphiques ou les effets de cadrage, parvenant ainsi à un bel effet de théâtralité. Ses personnages sont particulièrement savoureux, tout en rondeur et bonhommie, offrant au jeune héros le cadre sécurisant de leur bienveillance. N'oubliant pas que les albums sont destinés à être relus et partagés, elle multiplie les détails, et parsème d'indices ses décors afin que le lecteur perspicace puisse être mis sur la piste du mal mystérieux. Et sa palette, dans le choix de couleurs vives et de contrastes stimulant, profite magnifiquement de la lumineuse transparence des encres, donnant à chacun la bienheureuse impression de voir le monde au travers d'un sachet transparent de bonbons acidulés.

ladroledemaladie_double2.jpg © Didier Jeunesse 2012

Voici donc un album particulièrement dynamique, empathique, généreux et réconfortant, un album narratif dans la pleine réussite de son art. Nul doute qu'avec la collection "P'tit bonhomme et Compagnie" dédiée aux livres de Pierre Delye, Didier Jeunesse construit aujourd'hui les grands classiques de demain.