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Blexbolex, Nos vacances, Éditions Albin Michel Jeunesse, collection Trapèze, décembre 2017, 18 €

Quatre ans qu’on attendait ce nouveau livre de Blexbolex. Le voilà enfin, qui s’inscrit pleinement dans la trajectoire dessinée par les imagiers d'abord (L'imagier des gens, 2008 et Saisons, 2009), puis par Romance (2013), ce dernier en point de bascule, ou de liaison, entre le livre concept et la narration. Car Nos vacances est un pur récit, tout en images, de 128 pages, qui laisse le lecteur chargé d’émotions aussi denses qu’à la lecture d’un roman.

Combinaison de l'album sans texte, chaque double-page est savamment composée et renouvelée – comme Babar en son temps– et du roman graphique, avec ses cases ou ses vignettes rondes librement juxtaposées, Nos Vacances est un objet nouveau, que l'on serait tenté d'appeler un roman visuel, tant la narration est intense, forte d'un monde fictif cohérent comme de riches subtilités psychologiques. C'est une histoire classique, tout autant que singulière, qui se déroule dans ce temps estival si propice aux déplacements, aux expériences, aux rencontres, aux jeux et aux sensations exacerbées de l'enfance, mettant en scène un trio – une petite fille, un grand-père, et un visiteur, jeune éléphant maladroit – dans un environnement naturel opulent, de forêts, de lacs et de champs.

nature.jpg © Albin Michel Jeunesse, 2017

L'absence de narrateur verbal laisse le lecteur maître de ses interprétations quant à l'appréciation des situations (pourquoi tous ces cadrans, ou ce pronom possessif pluriel du titre ?), mais aussi des échappées oniriques esquissant des compléments fictifs au récit premier (qui est vraiment ce petit garçon qui fait quelques apparitions ?).

Aux effets de rythmes et de répétitions du récit, s'ajoutent les effets d'échos d'une œuvre nourrie. Blexbolex cite lui-même Kenji Miyasawa, Richard McGuire ou encore Frans Masereel, et aussitôt se déploient effectivement en éventail, des images d'enfants du Train de nuit dans la voie lactée (1927), des jeux d'inserts d'Ici (2013) ou encore des scènes saisissantes d'Histoires sans paroles (1920).

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L'objet livre, soigné dans ses moindres détails (dos en simili cuir brun comme les premiers Tintin, pages de garde en papier couché...) fleure bon et fort les encres mêlées. C'est que le procédé d'impression en tons directs a son importance. Blexbolex a composé son récit dans sa longueur, mais aussi dans sa profondeur, avec un jeu de trames en niveaux de gris qui ne se réalisent en couleurs qu'au moment de l'impression. Une part de hasard fait donc son œuvre, dont le paradoxe est qu'elle est fortement anticipée et maîtrisée par le créateur accompagné dans ce processus par l'éditrice, Béatrice Vincent, et la responsable de la fabrication, Alix Willaert. Le résultat : un style graphique au langage à la fois épuré et détaillé, chargé de motifs et de matière ; des images vibrantes.

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De ce livre à l'impressivité fine et pénétrante, exceptionnellement élaboré par un artiste qui concentre tout son talent, toute son intuition et toute son intelligence dans chacune de ses livraisons, on ne peut que saluer, en pesant pourtant ces mots si peu usités ici, la force d'un chef d'œuvre et d'un futur classique pour la jeunesse.