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Les plus belles berceuses classiques, 16 berceuses sélectionnées par l'ensemble Agora, Illustrations Élodie Nouhen, Didier Jeunesse, coll. Les plus beaux livres-disques, 23,80 €

Les éditions Didier Jeunesse font une fois de plus la démonstration de leur talent d'éditeur de musique avec ce choix de berceuses, romances ou adagios issus du répertoire classique, interprété par l'ensemble Agora, quintette à vent et harpe. Aux morceaux attendus (et espérés !) comme La Boîte à joujoux (C. Debussy) ou Gymnopédie n°1 (E. Satie), l'ensemble donne une interprétation nouvelle et subtile grâce au jeu de la harpe tandis que pour tous les titres dominent une douceur sans mièvrerie et la densité d'un jeu nuancé. Le livre, dont les textes sont plutôt destinés au public adulte en proposant le texte, traduit, de berceuses et quelques éléments d'explication sur le morceaux, offre d'amples et belles illustrations évoquant le monde de la petite enfance et son environnement culturel, là aussi avec une belle intrication de douceur et de sophistication. Que le jeune enfant soit sur le point de s'endormir ou déjà abandonné au sommeil, le disque tourne, apportant à tous les habitants du foyer réchauffé un moment d'écoute paisible et subtil.

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Emma Giuliani, Voir le jour, éditions Les Grandes Personnes, 12,50 €

Le titre introduit le lecteur dans une balade poétique qui n'est autre qu'un parcours de vie, lequel ne s'arrête pas sur la disparition, mais sur la résistance. Aux métaphores du texte s'ajoutent celles des images, composées en sept tableaux ou fleurs et humains jouent de délicates variations en noir et blanc. Par sa nécessaire intervention sur les petits systèmes en papier, le lecteur déploie les motifs colorés et complexes, distribuant littéralement la vie à ces pages sinon immobiles et figées. Rarement un livre aussi court et épuré aura su à ce point entremêler les niveaux de sens et offrir une poétique formelle aussi évidente que sophistiquée. À l'image de cette dernière fleur, accompagnée du verbe "résister", fermée par la grâce d'une superposition perpétuelle des pétales, dessinant un remarquable dessin de roue à vent qui, une fois ouvert, ne permet plus de revenir en arrière. Subtil disions-nous...

 

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Anne Crausaz, L'une et l'autre, éditions MeMo, 14,50 €

L'art d'Anne Crausaz (Raymond rêve, Jouets des champs) atteint ici sa perfection. Peu de créateurs parviennent ainsi à mêler approche documentaire et narrative sans ne rien sacrifier ni à l'un ni à l'autre des genres. Ici, côté documentaire, on apprend ce qui différencie la couleuvre à collier de la couleuvre vipérine, de la ponte au choix du milieu de vie en passant par le régime alimentaire. Côté narration, nous est offerte l'histoire forte d'une amitié tendue entre similarité et altérité qui laisse le temps consolider la proximité tout en respectant la distance et la différence. Plus rare encore sont les créateurs sachant insuffler une telle poésie à ces livres hybrides, par l'articulation fine et légère du texte et de l'image et, surtout, par la virtuosité d'un dessin vectoriel où la pureté de la forme se combine à l'émotion des compositions. Et quand ces créateurs rencontrent des éditeurs qui peuvent magnifier leur travail par un investissement poussé de la photogravure et de l'impression capable de rendre aussi bien des nuances fines de gris clairs qu'un noir profond et faire éclater des ocres ou des bleus d'une intensité surprenante, on touche alors à l'exceptionnel.

 

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Tore Renberg, Øyvind Torseter, Ina et Aslak, apprentis bûcherons'', Didier Jeunesse, 13,10 €

Un album singulier, comme il en arrive fréquemment de Norvège, nous offre une tranche de la vie de Ina, petite mais déjà grande fille dont la douceur n'a d'égale que la débrouillardise, et de son jeune frère, Aslak, un petit petit garçon obnubilé par le "oui", par le "non", et par le "tracteur". Nous sommes en Norvège, donc il fait froid, il faut aller chercher du bois, le jour est bref et les enfants agissent seuls. Une grande aventure, qui mène Ina et Aslak, pas à pas, entre dialogue savoureux et leitmotiv complices (rendons hommage à la traduction de Jean-Baptiste Coursaud), entre bûches et embûches, entre animaux et tracteurs, entre quotidien et onirisme. Nous sommes dans le froid, nous sommes dans la poésie, nous sommes dans l'enfance. Pour nous, c'est Noël.

 

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Toon Tellegen, Marc Boutavant, N'y a-t-il personne pour se mettre en colère ? Albin Michel Jeunesse, 14,90 €

Qu'arrive-t-il lorsque le texte d'un auteur majeur de livres pour enfants, qui épouse sans concession la gravité, rencontre les images d'un dessinateur virtuose, maître de l'humour et de la fantaisie ? Il naît un livre rare dont la magie opère finement, au fil des pages mettant en scène cette compagnie de personnages aux idées noires qu'ils traînent comme un sac pesant, au fil des pages où l'écriture ouvragée, ciselée, insinue un rythme lancinant, au fil des pages où les images distribuent avec générosité teintes et traits délicats, figures tendres et suppléments de sens dans la profondeur de champ. Il n'y a rien d'évident ni de facile dans cet album qui s'impose pourtant au lecteur comme un objet précieux, indispensable.

 

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Fabienne Burckel, Il n'y a jamais eu autant de neige à Noël, éditions Sarbacane, 16 €

Noël, cette fois, nous y sommes. Soir de réveillon. La narratrice, une fillette, attend son cousin Martin, impatiente de le retrouver et de vivre avec lui une soirée magique comme ils en ont seuls le secret. Attente. Martin n'arrive pas. Trop de neige. Déception et mélancolie. Mais, surprise finale, au petit matin Martin est là. La nuit a passée, il faudra inventer de nouveaux jeux dont l'avenir est plein. Fabienne Burckel nous offre depuis longtemps des albums singuliers et attachants, où la figuration minutieuse d'univers d'enfants emplis de détails qui ont tous leur personnalité, rencontre le plaisir du lecteur attentif et curieux. Ici, elle fait évoluer son art vers plus de poésie, vers une plus grande dynamique des mises en pages aussi. L'ensemble est une réussite, sensible, douce, contemplative. On ne peut se détacher de cette ambiance de Noël parce que, précisément, elle n'a rien en commun avec les clichés habituels, elle est, comme toujours avec Fabienne Burckel, incarnée.

 

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Henri Meunier, Cent grillons et autres contes pas piqués des hannetons, éditions du Rouergue, 14,50 €

Henri Meunier qui conjugue de mille manières ses talents d'auteur et d'illustrateur, signe ici un livre texte et image qui, partant d'un calembour, sait élever la boutade à son plus haut degré. Car "Cent grillons", "Barbeau bleu", "L'étroit petit pochon" et autre "Sabot thé" ne sauraient empêcher la réalisation d'authentiques contes sachant en épouser tout à la fois les codes traditionnels et la contrainte offerte par le jeu initial. En résultent des textes denses, jusque dans leur disposition, de très haute tenue littéraire. L'écriture, maniant un style recourant à la langue ancienne des premiers contes transcris, regorgeant de trouvailles lexicales et de formules coulantes à souhait, reste contemporaine dans son rythme et dans son efficacité. Face au texte, les images, elles aussi inspirées des styles anciens de Gustave Doré ou de Grandville, savent de la même manière trouver la voie de la modernité dans la ligne claire qui illumine ces scènes arrêtées. L'ensemble est d'une très grande élégance, distinctement mis en page et ponctué de pages de titres à la sobriété pourtant sophistiquée. Du grand art qui renouvelle l'approche du conte.

 

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Marie Saarbach, Le Jeu de l'oie, Autrement Jeunesse, 24,50 €

Le jeu de l'oie est l'ancêtre des jeux de parcours. Ici, deux enfants sortent de la maison et voyagent jusqu'à la mer qui ne pourrait bien être qu'une nouvelle étape. La spirale du jeu initial est ici remplacée par la bande en continu du leporello, imprimé recto et verso. Revendiquant l'héritage des tableaux d'éloquence, Marie Saarbach redonne tout son sens et sa portée à la légende, qui constitue le seul texte, chargé d'ambiguïté, guidant le lecteur au travers de la quête initiatique des deux enfants, passeurs et passants, d'un univers à l'autre, étrange et pénétrant comme un rêve, stimulant et évident comme un jeu, inquiétant et réjouissant comme la vie même. Chaque scène s'étend sur un format ample et généreux qui invite à la contemplation de ces univers graphiques où, alors que mille influences s'y mêlent, s'impose surtout une grande singularité. Une expérience de lecture originale et envoûtante.

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El Lissitzky, Les 2 carrés, Éditions MeMo, La collection des trois ourses, 28 €

Certains ont eu la chance d'en caresser les pages, gantés de blanc, sur une antique édition, d'autres n'ont jamais vu ces planches ailleurs que dans des expositions consacrées à Kasimir Malévitch et aux suprématistes, d'autres encore les verront ici pour la première fois, ignoreront peut-être tout d'elles et découvriront ce "livre visuel" de 1922 dans toute la contemporanéité de sa réédition parfaite. En 6 tableaux, lettres, traits et carrés se transforment en lignes et volumes, au gré de jeux de perspectives qui réinventent leur propre grammaire. De ce processus de construction découle l'imaginaire de la création, geste initial d'un pan immense de l'histoire de l'art qu'il s'agit ici d'aborder, à moins qu'il n'éclaire simplement l'avenir, celui du lecteur qui aura pris "du papier des crayons des bouts de bois" pour écrire sa propre création.

 

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Marguerite Duras, Katy Couprie, Ah ! Ernesto, éditions Thierry Magnier, 14,50 €

L'année du centenaire de la naissance de Marguerite Duras méritait la réédition flamboyante de ce texte initialement créé par l'auteur pour la jeunesse à l'invitation d'un éditeur qui avait su également amener Eugène Ionesco au jeune public. Un enfant en butte au système scolaire. Plus de 40 ans après sa publication originale et la révolution pédagogique de 1968, l'histoire conserve toute son actualité tant on sait aujourd'hui à quel point l'école continue d'exclure et de faire souffrir. Oh, ils ne sont certainement pas majoritaires, mais leurs mots sont les mêmes. Et celui-ci avant tout : incompréhension. En toute intelligence, Katy Couprie donne sens et forme au malaise, à la confusion, mêle iconographie scientifique ou scolaire et imagerie populaire, juxtapose, assemble, répète, déploie et, par la seule grâce de ses images virtuoses, offre une nouvelle grammaire, purement visuelle, qu'elle dépose avec une infinie délicatesse dans les mains du cancre génial. Publié conjointement avec un album de l'album, revenant sur la genèse du texte initial : Ah ! Duras.


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Blexbolex, Romance, Albin Michel Jeunesse, 15 €

Un épais volume coloré, que le bibliophile touche et hume puissamment et déraisonnablement, tout comme le passionné de mécanique plonge son nez dans le moteur d'une vieille deux temps. Du temps, il en faudra pour suivre les circonvolutions d'un ouvrage qui commence comme un imagier et se termine comme un conte. Entre deux, un système narratif procède par accumulation et insère progressivement toutes les composantes (de 2 à 128 !) d'une histoire rocambolesque. La linéarité, la chronologie et la succession ne sont pas seules en jeu (la lecture de Romance est jeu de construction !) car les images ne cessent d'établir des correspondances entre elles, savent organiser le nivellement du sens dans leur profondeur même et leurs détails, et invitent le lecteur à progresser à rebours, à effectuer cercles et boucles à partir des cartes et des points de vues, multiples, qui s'affrontent et se répondent pour offrir une passionnante densité à ce récit. Depuis Ces nains portent quoi ?, de Paul Cox, on n'avait pas revu création aussi talentueuse et stimulante.

 

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Anne Brouillard, Voyage d'hiver, éditions Esperluète, 14 €

Experte en rêverie ferroviaire, Anne Brouillard nous avait déjà offert un Voyage inoubliable aux éditions Grandir (1998). Ici, le voyage s'étend, en couleurs, sur le continuum d'un leporello et donne au spectateur la sensation tangible du déplacement, qui pourra d'ailleurs s'effectuer dans les deux sens, aller et retour, ainsi que l'objet initial, une bande de tissu peinte insérée dans un dispositif en bois pouvant activer la rotation de l'image, l'avait prévu. Maîtrisant comme jamais sa technique de peinture à l'œuf (tempera), Anne Brouillard condense l'exercice de la miniature et du nabi pour offrir au lecteur des images qui s'insinuent durablement dans son imaginaire et sa sensibilité, par la grâce de ces paysages ouatés mais néanmoins précis, de ces formes ourlées de blanc et de bleu qui rendent cette sensation si particulière du froid hivernal. Inspiré des paysages de la ligne de train Dinant-Namur (Belgique), ce livre, s'appuyant sur le réel réussit à le transfigurer et nous donne alors la possibilité de revisiter notre propre vision du monde. De l'art, tout simplement, et des plus envoûtants.